Monumenta ou l’art démesuré

Par Camille Tallent

DOSSIER // Du Grand Palais au Great Salt Lake (USA), les œuvres monumentales occupent une place majeure de la production artistique actuelle. Sculptures et installations aux dimensions colossales sont devenues des pièces incontournables aussi bien des institutions culturelles que des paysages désertés. Si cette monumentalité témoigne de l’ouverture de l’art vers des formes libres qui semblent sans limites, des édifices sculpturaux tels que le Sphinx de Gizeh nous rappellent que les hommes ont toujours su construire des pièces qui se caractérisent par la prouesse démiurgique de leur architecture grandiose.

Monumenta, le défi du spectaculaire

Pour sa nouvelle édition, Monumenta invite l’artiste Huang Yong Ping à se confronter au volume grandiloquent de la nef du Grand Palais. Un exercice rituel auquel des artistes contemporains tels que Christian Boltanski, Anish Kapoor ou encore Daniel Buren se prêtent depuis 2007. Si aucun d’entre eux n’est étranger avec l’installation grand format, l’espace et les moyens alloués par cet événement offre à leur art la liberté de croître dans toute leur potentialité expansive. Avec l’œuvre Empires, Huang Yong Ping développe un réseau de symboles métaphoriques qui dialoguent entre eux dans une ingénierie vibrante : un portique RTG, des conteneurs colorés, un squelette de serpent de 254 mètres de longueur et un bicorne géant.

Allégorie tentaculaire des méandres de la mondialisation, Empires se déploie grâce à un vocabulaire qui nous interpelle tant ses images sont littérales : « le conteneur et le portique RTG, symboles de la mondialisation ; le bicorne, emblème du pouvoir ; le serpent, allégorie de la mutation. », explique Sylvie Hubac dans le catalogue de l’exposition. C’est par sa démesure que cette œuvre s’impose au visiteur. Si la déambulation entre les tours de conteneurs participe à son caractère immersif, sa lecture est facilitée depuis le balcon de la nef. Un panorama qui dévoile l’ampleur du chaos ordonné de cette œuvre.

De l’intra-muros à l’extra-muros

Les invitations de Monumenta ont réussies à rendre perceptibles certaines des problématiques et des enjeux esthétiques qui animent les artistes dont l’œuvre est marquée par la monumentalité. Le pari réussi des institutions muséales réside dans leur succès à faire surgir l’œuvre de l’intérieur et à construire un dialogue de confrontation unique in situ. En témoigne l’œuvre vertigineuse La Matière du Temps (1994-2005) de Richard Serra, enfermée au Guggenheim de Bilbao. Les huit ellipses de cette gigantesque installation en acier proposent au spectateur une expérience physique sur l’espace et la matière qui perturbe notre orientation. C’est ce même phénomène de dérèglement qui est à l’œuvre dans le travail de James Turrell, notamment lors de son investissement du Guggenheim de New York en 2013. Comme les drapés de Christo & Jeanne-Claude semblent épouser les formes architecturales qu’ils englobent, le travail sculptural de la lumière de Turrell enlace l’enceinte du bâtiment de Frank Lloyd Wright qu’il ouvre avec ses projections lumineuses sur une dimension stellaire et colorée.

Pour donner libre cours à son déploiement, le gigantisme dans l’art s’est aussi offert à l’extérieur, pour mieux retrouver ses tensions et limites internes. Le Land Art est un champ artistique par le biais duquel les artistes ont tenté de se mesurer aux dimensions du paysage. Si Spiral Jetty (1970) de Robert Smithson en est l’exemple le plus connu, des réalisations comme Desert Breath (1997) de Danae Stratou ou Double Negative (1969-1970) de Michael Heizer témoignent du désir de s’approprier le paysage comme matériau.

L’expérience universelle

L’art monumental se justifie par l’expérience spatiale qu’il provoque car il est le moteur de l’immersion du visiteur dont les sens sont sollicités, ébranlés, provoqués. Conçu pour chambouler son rapport à l’espace, le spectateur pénètre un environnement qui a été pensé en fonction de lui.

Si cette question du spectateur est centrale dans l’œuvre de ces artistes, c’est parce que le référant de la monumentalité est l’humain. Cette démesure opère souvent grâce à son aspect hors-norme ; une originalité volontairement échafaudée en résonnance avec nos propres canons et échelles de grandeur. Là réside le succès de ce type d’œuvres et d’événements qui glanent un large public (200 000 visiteurs en moyenne pour Monumenta) car l’art monumental propose une expérience au ressenti universel. Cette formule attractive dont résulte des œuvres colossales et expérientielles est l’assurance d’interpeller un large public. Au cœur de cette notion d’interactivité, d’immersion et d’expérience sensationnelle, ArcelorMittal Orbit, le gigantesque toboggan de Cecil Balmond & Anish Kapoor niché au cœur de la plus haute tour de Londres est sûrement le témoin de ce phénomène grandissant. //


Exposition Monumenta 2016 – Empires by Huang Yong Ping //
Jusqu’au 18 juin 2016 at Grand Palais
3 avenue du Général Eisenhower 75008 Paris
www.grandpalais.fr


Monumenta ou l’art démesuré
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