À Londres, Torbjørn Rødland brûle comme la glace

 

Par Henri Guette

EXPOSITION // Pour sa première exposition personnelle au Royaume-Uni, Torbjørn Rødland joue avec le feu à la Serpentine Sackler Gallery (Londres). Les photographies exposées dans l’ancienne poudrière s’amusent en effet des doubles-sens et se jouent de nos perceptions au gré d’une lumière ondoyante. L’ambiguïté d’une flamme qui brûle et réchauffe.

Ce pourrait être des couvertures de magazines. Depuis Los Angeles, Torbjørn Rødland collabore régulièrement avec les titres mode et art contemporain, ses images jouent une esthétique du lisse. Les lumières sont flatteuses, les poses étudiées, les textures soignées : en apparence, luxe et papier glacé. Quand on regarde pourtant de plus près, par exemple Heiress with dogs (2014), les sujets sont comme minés de l’intérieur. De l’héritière béate et de ses chiens ennuyés, le cliché est trop bien composé ; c’est la photographie elle-même, ses artifices et ses câbles qui se révèlent. Le réflecteur de lumière en arrière-plan rappelle la tente d’un SDF. Rien de superficiel dans la juxtaposition des symboles, mais un usage contondant de la photographie.

Du portrait à la nature morte en passant par le paysage, le photographe norvégien passe d’un genre à l’autre avec aisance. Au-delà des cadres formels, son goût du détail est partout. Les corps morcelés répondent aux injonctions d’un fétichisme esthétique. Ici un bas ; là, deux bras et puis des jambes bien dessinées dans Stockings, jeans and carpeted stairs qui relève de la démonstration de force et l’enlèvement narratif. Le plaisir de composer avec les textures, parfois de manière abstraite, a quelque chose de sensuel. Constellations de tâches de rousseurs ou plastique fondu sur coupon de dentelles, les motifs aiguisent nos perceptions autant qu’ils tiennent de l’obsession. Le traitement de la lumière par touche excite le désir et appelle à toucher, sentir, goûter autant qu’à déranger, provoquer et rendre mal à l’aise.

Les contraires s’attirent et nous repoussent. Il suffit de bougies et de glaçons au photographe pour atteindre la puissance visuelle du feu contre la glace. Des objets du quotidien pour évoquer les éléments dans Candles and Cubes. Les juxtapositions de Torbjørn Rødland sont contradictoires mais saisissantes, un pied qui amorce un mouvement figé dans de la glue, une main saisie par un tentacule. Les situations, sensibles, sont épinglées sous une lumière froide. C’est l’idée du beau, jusqu’à la cruauté qui surgit par ces déplacements. L’exposition dont le clou est une vidéo montée à 132 BPM subvertit l’imaginaire domestique et raconte des histoires comme des accidents. Au-delà encore, The Touch That Made You amène à penser avec les sens et à s’émouvoir de l’audace de l’ordinaire. //


Exposition Torbjørn Rødland : The Touch That Made You
Jusqu’au 19 novembre 2017 at Serpentine Sackler Gallery
West Carriage Drive W2 2AR Londres
www.serpentinegalleries.org


Torbjørn Rødland, Arms, 2008, 76 x 60 cm, private collection / courtesy of Serpentine Gallery

Torbjørn Rødland, Trichotillomania, 2010, 45 x 57 cm, private collection / courtesy of Serpentine Gallery

Torbjørn Rødland, Midlife Dilemma, 2015 / courtesy of the artist

Torbjørn Rødland, Stockings, Jeans Carpeted Stairs, 2013-17 / courtesy of the artist

Torbjørn Rødland, Heiress with Dogs, 2014, 110 x 140 cm, courtesy of galerie Rodolphe Janssen

Torbjørn Rødland, Bathroom Tiles, 2011-13, 60 x 76 cm, private collection / courtesy of Serpentine Gallery

Torbjørn Rødland, Nudist nr. 6, 1999 / courtesy of the artist

À Londres, Torbjørn Rødland brûle comme la glace
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