Pourquoi l’œuvre de Jay Gard est-elle si photogénique ?

 

Par Henri Guette

EXPOSITION // La photographie ramène tout sur le même plan. Le travail de Jay Gard s’intéresse aux formes, au rapport entre le tracé et sa modélisation. Il y a ainsi quelque chose de paradoxal à découvrir par quelques images bien cadrées son exposition Zeichen unter Zeichen à la Sexauer Gallery de Berlin.

On peut avoir idée d’une galerie sans y avoir mis les pieds. L’exercice de la vue d’exposition permet au delà du temps et de l’espace de découvrir un rassemblement d’œuvres par définition éphémère. Le blanc muséal, le sol de béton ciré et la hauteur de plafond abolissent les frontières, modèle white cube international. Il semble que Jay Gard qui s’attache à la représentation de signes soit particulièrement attentif à ces conventions. Les formes qu’il façonne et qu’il dispose sur des socles rudimentaires rayonnent sans prendre toute la place. Aucun élément ne donne idée de l’échelle mais dans les champs, contre-champ des photographies officielles, le regard circule. Le placement d’une sculpture par rapport à un tableau développe le lien d’incidence, le volume et le plan sans que l’objectif ne permette d’établir un primat.

Le rapport à l’œuvre change selon l’angle et la multiplicité des vues donne l’impression de dialogue et de profondeur. Ici, se confrontent — et c’est d’autant plus évident en photographie — le faux et l’authentique, le réel et le virtuel, la forme et le fond. Une simple ligne qui marie les angles et la ronde semble devenir une  forme pleine d’ équerre dont le troisième côté se résout dans une courbe. Deux dessins techniques assez similaire dans l’idée jouent du noir et du blanc pour se réaliser dans des modélisations différentes, sculptures en bois laqué de noir. Jay Gard a sans doute assumé que certaines de ces œuvres soient perçues comme un tout et non individuellement. L’idée de décor propre à l’imagerie baroque dont il reprend les volutes est peut-être moins loin qu’elle n’y paraît.

Dans le mouvement de cette photographie qui remet à plat, il y a une interrogation sur la place de l’ornement. Les photographies donnent un aperçu de l’ensemble mais ne permettent pas d’observer les détails, comme si la forme plastique devait l’emporter. Séduction de la matière et des volumes ; les valeurs sont renversées et les courbes reproduites à la scie et à la tronçonneuse rappellent les graphiques économiques et informatiques de nos sociétés du chiffre. Abstraites de tout contextes, ces formes reprises d’un répertoire fonctionnaliste renouent avec la beauté du geste. Signes parmi les signes. Jay Gard travaille dans l’épaisseur du symbole pour renouveler un langage formel. À l’ère de la reproductibilité technique, il faut bien y regarder à deux fois : un signe peut en cacher un autre. //


Exposition Zeichen unter Zeichen by Jay Gard
Jusqu’au 16 décembre 2017 at Sexauer Gallery
Streustraße 90 Berlin 13086
www.sexauer.eu


Vue d’exposition “Zeichen unter Zeichen” by Jay Gard at Sexauer Gallery, Berlin.

Jay Gard, Serial Component, 2017, wood, foil, EUR-pallets, ca 120 × 220 × 90 cm / courtesy of Sexauer

Jay Gard, Franz, 2017, holz, metall, acryl, 59 x 11 x 17 cm / courtesy of Sexauer

Jay Gard, Elli, 2017, holz, metall, acryl, 27 x 26 x 9 cm / courtesy of Sexauer

Jay Gard, Hank, 2017, holz, metall, acryl, 34 x 9 x 14 cm / courtesy of Sexauer

Jay Gard, Bronco, 2017, holz, metall, acryl, 39 x 7 x 20 cm / courtesy of Sexauer

Pourquoi l’œuvre de Jay Gard est-elle si photogénique ?