La Fondation Hermès expose trois années de résidences

 

Par Henri Guette

EXPOSITION // Derrière la formule évocatrice de Gaël Charbau, Les Mains sans sommeil, résident autant d’artisans du luxe que d’artistes occupés par la matière. L’exposition au Palais de Tokyo rend compte de trois années de résidences mises en place par la Fondation d’entreprise Hermès, à l’intérieur de ses manufactures.

Selon l’adage, les cordonniers sont les plus mal chaussés. Anastasia Douka, invitée dans les ateliers des chausseurs y a peut-être vu une réalité ; elle qui, entre création et réparation, a décidé d’imaginer pour chacun des artisans une paire qui lui soit propre. Ce travail qui résulte d’un dialogue technique et personnel illustre bien le propos : revivifier par la rencontre le lien entre art et artisanat. Associés à une démarche aussi singulière que celle de Jennifer Vinegar Avery, les savoir-faire des ateliers textiles racontent une autre histoire. L’Américaine, tout occupée à ses marionnettes et à son univers de conte de fée, enchante l’air de rien un métier en associant une réalité à un imaginaire. Il s’agit de la même façon pour Célia Gondol d’une méthode de tissage, non seulement pour obtenir de la soie mais aussi dans l’optique de relations humaines plus épanouies. Une société où l’artistique serait en lien avec la technique et le scientifique pour commencer.

Célia Gondol, au contact des soyeux et de l’astrophysicienne Hélène Courtois, a sans doute poussé le plus loin l’ambition d’un enrichissement mutuel. À Lyon, personne n’avait eu avant elle la curiosité de tisser le cuivre. Les reflets moirés, la texture métalliquement chaleureuse de cette nouvelle étoffe dessinent aujourd’hui de nouveaux possibles. Les artistes questionnent des techniques que la tradition a consacrées. Bianca Argimon a privilégié un travail d’intuition pour transposer ses dessins sur de la mousseline au point de froisser le bon sens des artisans par ses erreurs de débutantes. Apprendre les règles, chercher à savoir comment elles ont été mises au point fait ainsi entièrement partie de la démarche de Io Burgard qui, à partir de son apprentissage de la sellerie, a cherché à inventer de nouveaux outils. Les artistes partent à la recherche des commencements, s’interrogent sur les débuts de telles ou telles pratiques — parfois symboliquement pour Lucie Picandet qui s’est fiée aux connaissances des peaux de l’atelier maroquinerie pour son tondo évoquant l’ouroboros et l’éternel retour.

Artistes et artisans œuvrent de concert dans cette exposition pour la reconnaissance de la main. « Le geste de l’artisan n’est pas celui de l’artiste », note Gaël Charbau qui distingue « savoir-faire » et « laisser-faire ». Mais ces notions peuvent se rejoindre comme en témoignent les œuvres de DH McNabb ou de Lucia Bru, issues de la cristallerie Saint-Louis. Il s’agit, dans les deux cas, d’exploiter le matériau, son aspect, ses couleurs, de pousser l’expérimentation à bout. Dans le cas de McNabb, jusqu’à obtenir des prismes de couleurs qui ont le tranchant d’une lame et l’impact visuel de l’arc-en-ciel ; pour Lucia Bru, jusqu’à jouer le trompe-l’œil avec la porcelaine par les opacités. C’est également en repoussant les limites du réalisé que Clarissa Baumann s’est illustrée auprès des argentiers. En cherchant à étirer une cuillère en argent à son maximum, elle a étonné les artisans eux-mêmes sur les propriétés du métal. Son but, pour autant, n’était pas la prouesse technique mais l’épuisement d’un geste, l’ambition de garder la trace d’une technique pour elle-même et non pour obtenir in fine un objet manufacturé. Geste artistique et gestes de l’artisan. //


Exposition Les Mains sans sommeil by Fondation Hermès
Jusqu’au 7 janvier 2017 at Palais de Tokyo
13 avenue du Président Wilson 75116 Paris
www.fondationdentreprisehermes.org


Bianca Argimon, Materazzi (détail), 2017, vue de l’exposition Les Mains sans sommeil, Fondation
d’entreprise Hermès, 2017. Palais de Tokyo, Paris / Photo Tadzio

Io Burgard, Que vogue la galère, 2016, vue de l’exposition Les Mains sans sommeil, Fondation
d’entreprise Hermès, 2017. Palais de Tokyo, Paris / Photo Tadzio

Io Burgard, en résidence à la Maroquinerie de Seloncourt / Photo Tadzio © Fondation d’entreprise Hermès

Célia Gondol, Dimensions telluriques (détail), 2016, vue de l’exposition Les Mains sans sommeil, Fondation
d’entreprise Hermès, 2017. Palais de Tokyo, Paris / Photo Tadzio

Lucia Bru, Movidas, 2017 (au sol) / Clarissa Baumann, Cuillère – livre, 2016 (arrière-plan), vue de l’exposition Les Mains sans sommeil, Fondation d’entreprise Hermès, 2017. Palais de Tokyo, Paris / Photo Tadzio

La Fondation Hermès expose trois années de résidences