La belgitude de Jan Fabre exposée chez Templon

Par Henri Guette

EXPOSITION // Artiste total comme il aime se définir, Jan Fabre expose dans le nouvel espace de la galerie Templon deux séries autour de l’identité belge. Avec humour et esprit, il poursuit par ce travail plastique les recherches entamées pour son spectacle de 2017, Belgian Rules / Belgium Rules.

Une vierge d’un bleu étincelant accueille le visiteur tenant entre ses mains un poisson aux couleurs noir, jaune, rouge. Cette image aux allures de blague synthétise tout le projet de Jan Fabre qui cherche à décrire un paysage mental à nul autre pareil, celui de la Belgique. Un pays que l’artiste choisit de traiter comme un ensemble au travers de ses deux séries Folklore Sexuel Belge (2017-2018) et Mer du Nord Sexuelle Belge (2018). En évoquant une position géographique, bordé au nord par la mer, et un ensemble de traditions communes, il ne s’agit pas de raviver les tensions entre flamands et wallons mais plutôt de célébrer, non sans ironie, un patrimoine commun majoritairement issu du XIXe siècle. Les dessins qui balisent l’exposition s’amusent ainsi des illustrations populaires qui ont fixé un imaginaire tandis que les sculptures jouent avec outrance l’image de la kermesse. L’artiste maître de sa scénographie joue des cadres et des socles pour nous faire entrer dans un cabinet de curiosité et rappeler son goût, presque héréditaire, pour l’entomologie et l’observation minutieuse des comportements.

L’adjectif sexuel, deux fois répétés et maintes fois suggérés sous la forme de pénis et de vulves, d’ovules et de spermatozoïdes, n’est pas à prendre à la légère. Les différentes conques et mollusques couplés aux organes génitaux renvoient autant à des métaphores érotiques qu’à des modèles anatomiques. Jan Fabre ne distingue plus l’homme et l’animal dans ces hybrides et repousse les frontières d’une morale conservatrice. Qu’est ce qui relève du naturel, du culturel et qu’est-ce qui relève du culte catholique ? Si les anges côtoient sur les cimaises les diables, Fabre assimile la reproduction à une parade, masques de carnaval phalliques et chapeaux de fête vaginaux. Au pied d’un calvaire, le sacré se mêle volontiers au profane dans des compositions qui manifeste l’influence de la peinture flamande de Bosch à Brueghel. En recouvrant objets religieux et objets traditionnels de sequins, l’artiste n’établit plus de distinctions hypocrites. La musique de l’orgue de barbarie comme les éclats kitsch des sculptures concourent à la même forme burlesque d’ascension.

Si Jan Fabre et son talent pour la provocation brandit aujourd’hui sa nationalité comme un manifeste, nous ne devons pas nous tromper. Alors même que l’Europe est menacé par un cancer nationaliste que l’artiste matérialise par des homards porte-étendards, sa posture est avant tout celle d’un garde-fou. Critique vis-à-vis du passé colonial de la Belgique (à découvrir, la série Jérôme Bosch au Congo), il revendique la Belgique comme la matrice de son travail pour ne pas laisser à d’autres le soin d’ériger l’image d’une patrie idéale. La critique réactionnaire pourra s’offusquer de la mention « Édité et offert par le Bon artiste Belge » mais celle-ci pose — en ayant l’air de ne pas y toucher — la question de ce qu’est le bon artiste quand les politiques n’ont jamais cessé d’encadrer la culture. Belge et artiste, Jan Fabre perpétue par cette nouvelle exposition le caractère satirique et érotique des dessins de Rops, toujours aussi mordants et nécessaires qu’au début du XXe siècle. //


Exposition Folklore Sexuel Belge / Mer du Nord Sexuelle Belge by Jan Fabre
Jusqu’au 21 juillet 2018 at Galerie Templon
28 rue du Grenier-Saint-Lazare 75003 Paris
www.templon.com


Jan Fabre, The Chickens Being Fed, 2017 / Photo Pat Verbrueggen © Angelos bvba, courtesy Templon, Paris & Brussels

Jan Fabre, Le Bluff de la Vierge Marie belge, 2018 / Photo Pat Verbrueggen © Angelos bvba, courtesy Templon, Paris & Brussels

Jan Fabre, Sexy Orgue de Barbarie Belge (Sexy Street Organ), 2017 / Photo Pat Verbrueggen © Angelos bvba, courtesy Templon, Paris & Brussels

Jan Fabre, Écouter l’envie, 2018 / Photo Pat Verbrueggen © Angelos bvba, courtesy Templon, Paris & Brussels

Jan Fabre, L’arbre de vie du carnaval belge, 2018 / Photo Pat Verbrueggen © Angelos bvba, courtesy Templon, Paris & Brussels

Jan Fabre, L’arbre de vie du carnaval belge (détail), 2018 / Photo Pat Verbrueggen © Angelos bvba, courtesy Templon, Paris & Brussels

 

La belgitude de Jan Fabre exposée chez Templon
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