De l’immatériel au visible, œuvres cosmiques

Par Pauline Lisowski

EXPOSITION // L’espace d’exposition parisien Topographie de l’art convoque les lois de la physique en réunissant un ensemble  d’œuvres d’une dizaine d’artistes français et internationaux. Exploration de la lumière, hybridation des matières et des formes : la perception du visiteur s’oriente vers une grammaire du visible et de l’invisible.

À la suite des expositions autour de l’architecture où certaines œuvres prenaient appui sur l’espace, l’exposition proposée par Domitille d’Orgeval traite ici des questions de perception, de liens avec le mouvement, d’autres questionnements scientifiques, d’espaces-temps, de phénomènes naturels et cosmiques. Immatérialité réunit ici des œuvres de diverses techniques qui convoquent les notions de visibilité et d’invisibilité, d’immobilité, de mouvement, d’optique. Certaines diffusent la lumière, provoquent des sensations de dispersion de couleurs ; d’autres impliquent notre corps et se donnent à voir par notre déplacement.

Le miroir de Caroline Corbasson nous invite à regarder ce qu’il peut y avoir à travers. Sa pièce suggère une ouverture vers un ailleurs, vers le cosmos. « J’ai réalisé cette pièce à mon retour de l’observatoire chilien Paranal (ESO), inspirée par les immenses miroirs de télescope et leurs mouvements. Fabriquer un miroir de télescope peut requérir jusqu’à plusieurs centaines d’heures de polissage afin d’obtenir une matière parfaitement lisse et réfléchissante. C’est ce geste artisanal au sein d’un univers hautement technologique que j’ai voulu explorer avec cette sculpture », explique l’artiste. Tel un instrument monumental, cette œuvre renvoie à l’observation d’un monde possible, propose un voyage de l’infiniment petit à l’infiniment grand. De la même manière, la forme ronde et les relations avec le monde cosmique se retrouvent dans l’installation Astérisme de Charlotte Charbonnel. Elle constitue un paysage de globes en verre à écouter, invitation à s’interroger sur ce que chacune contient et à  imaginer les liens qui les unit.

Les œuvres se fondent presque dans les murs et nécessitent une attention particulière de notre part. Une empreinte dans du marbre de Jean-Baptiste Caron est mise en lumière et convoque notre emprise à une temporalité des plus lointaines. Au sol, sa pièce en verre coloré disparaît parmi les traces qui marquent l’espace. Elle contient la lumière. La perception de l’architecture est mise en mouvement au travers des œuvres. Monolith 05 de Pascal Haudressy présente une ligne, un mouvement évanescent sur l’image. L’artiste cherche à créer « des espaces de jonction, de réconciliation, entre activités humaines et phénomènes naturels. Il ne s’agit pas de collage, de superposition mais plutôt d’émulsion, de symbiose », rapporte-t-il. Nous plongeons dans un espace infini, où une nouvelle réalité apparaît. Les mouvements et apparitions de lignes se retrouvent dans l’œuvre d’Elias Crespin. Un dessin d’ombre se découvre en prenant le temps d’une perception attentive. Nous sommes quasi hypnotisés par les rotations des formes légères, à la manière de mobiles électro-cinétiques. Un phénomène d’apparence naturelle est ensuite convoqué dans l’œuvre Font d’Adam Belt. Un puits présente la formation de cristaux et nous conduit à solliciter notre attention sur les couleurs et le devenir des matières. En plongeant notre regard dans cette profondeur, nous tentons de comprendre ce qu’il se passe, si une vie est contenue à l’intérieur. Notre perception est mise en jeu au fur et à mesure de notre observation et de notre déplacement face aux œuvres. Nous nous y reflétons, nous y percevons les structures du lieu qui nous accueille, où les images de Liz Deschenes jouent sur les réflexions de l’espace et réagissent à la présence des visiteurs.

Il est question de temps dans cette exposition : temps du regard, de l’expérience, mouvement interne à l’œuvre. Celles de Stephan Breuer font référence à des œuvres de l’histoire de l’art tout en nous proposant de nous y projeter. « La question initiale était de tenter de réussir à atteindre la légèreté totale d’une image lorsqu’elle apparaît sur un écran d’ordinateur ou d’un téléphone. J’étais fasciné par ces images qui n’ont aucune matière, aucune surface, et qui semblent flotter dans un monde de lumière et d’absolu », raconte -t-il. Ses images tendent vers une atemporalité. Les œuvres nous invitent alors à redécouvrir la spécificité du lieu, marqué par les traces du passé. Traversante, la pièce en acier de Vera Röhm répond aux lignes de l’architecture. Elle convoque les notions de géométrie et découpe l’espace. Tel un instrument de mesure ou un outil de construction, elle nous invite à imaginer un passage de lumière, la diffraction. Phénomènes optiques et jeux de couleurs ponctuent cet ensemble d’oeuvres. Les acryliques sur toile de Guillaume Millet suscitent notre attention. « Je cherche à produire des peintures qui procurent des sensations visuelles spécifiques et un sentiment de présence », affirme-t-il. Ses couleurs font écho à celles produites par la lumière. Le monochrome coloré contient aussi nombreuses informations et symbolise des situations chez Thomas Devaux. Rayon 22.9, parties 1,2,3,4 renvoie à la puissance d’une douceur et d’une préciosité, celle qui nous attire. « En recherchant des couleurs toujours plus claires, j’obtenais sur mes tirages une quasi disparition de l’image », témoigne l’artiste. Il y a derrière la couleur qui capte la lumière et le cadre coloré, les objets de consommation, les manières dont on est incité à consommer. Chez Jan Van Munster, la lumière dessine et traduit des ondes colorées. Ses écritures sont des signes de présence. Elles rythment l’espace, nous mènent à penser, à réfléchir et à tisser des liens avec les lumières colorées émanant des pièces de l’exposition. Le daguerréotype de Martin d’Orgeval fixe une empreinte de l’objet, trace d’une présence.

Immatérialité nous propose une suite d’expériences perceptives où notre corps est prêt à s’arrêter pour capter la lumière. Dans cet espace, le caractère intangible des œuvres reflète la puissance de l’architecture. Au spectateur de tenter de percer le mystère des formes, de la lumière et de la couleur. //


Exposition collective Immatérialité
Jusqu’au 2 novembre 2019 at Topographie de l’art
15 rue de Thorigny 75003 Paris
www.topographiedelart.fr


Vue de l’exposition Immatérialité, 2019, courtesy of Topographie de l’art, Paris © Catherine Rebois

Caroline Corbasson, Sans titre, 2017 & JWST (After the James Webb Space Telescope), 2017, courtesy of Topographie de l’art, Paris © Catherine Rebois

Jean-Baptiste Caron, L’Étendue du palpable, 2018, courtesy of Topographie de l’art, Paris © Catherine Rebois

Stephan Beuer, Atemporal – Cloud Theory, 2019, courtesy of Topographie de l’art, Paris © Catherine Rebois

Charlotte Charbonnel, Astérisme, 2014, courtesy of Topographie de l’art, Paris

Thomas Devaux, Rayon 22.9, parties 1,2,3,4, 2017, courtesy of Topographie de l’art, Paris © Catherine Rebois

 

 

 

 

 

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