En images : Vojtěch Kovařík à la Galerie Derouillon

Photos © Grégory Copitet
Texte : Marion Coindeau

Il nous est tous arrivé de nous retrouver en plein rêve dans un paysage aux contours flous, aux éléments à la fois familiers et étranges. Le jardin mystérieux — « Hidden Garden » — de Vojtěch Kovařík est de ces environnements que l’on croit connaître mais qui ne cessent de nous échapper. Les contours de ses branches serpentines ou de ses herbes folles s’effacent au contact des figures massives qui nous surplombent et se transforment en décor de leur introspection.

Les dieux et héros empruntés à la mythologie grecque qui peuplent ses peintures — Hercule, Artémis, Apollon — semblent tombés de leur piédestal. Ils ont perdu leur assurance légendaire et laissent paraître leurs émotions. À quoi ou à qui pensent-ils ? Quels sentiments les tourmentent ?

Pour sa première exposition personnelle en France, Vojtěch Kovařík poursuit dans cette série de peintures son travail sur grand format et se confronte à nouveau aux défis propres à cette échelle. La composition des toiles est physique : il ne cherche pas à établir des règles ou une harmonie de lignes mais plutôt à défier les contraintes de la toile — comme s’il cherchait à faire rentrer ces corps de géants dans des cadres aux formats intangibles. Un encadrement factice est souvent même intégré à la toile, tracé et ornementé par l’artiste comme un élément à part entière de la composition. À cette rigidité s’oppose sa technique intuitive, créant les nuances des fonds oniriques et de subtils effets de lumière qui modèlent les corps. Il rend compte des mouvements arrêtés et de la tension des muscles en travaillant la matière comme un sculpteur. Vojtěch Kovařík fait émerger une figure d’un bloc, d’un cadre qui délimite toujours la forme, et exhibe ainsi les contraintes de sa pratique.

Né en 1993 en République Tchèque, Vojtěch Kovařík porte les héritages multiples d’une génération née après la chute de l’URSS avec l’indépendance et l’ouverture à une culture occidentale mondialisée. Les héros de la mythologie grecque rencontrent dans son imaginaire les sculptures brutalistes soviétiques ainsi que des figures ultra-viriles traversant la culture populaire, des films de péplums américains des années 1950 aux blockbusters hollywoodiens. Les canons antiques classiques, mesurés et harmonieux, évoluent entre ses mains vers une simplicité et un dénuement brutaliste. Il donne ainsi corps à un Apollon partageant la rudesse du soldat du monument du Front intérieur de Magnitogorsk.

La rencontre entre références contemporaines et récits fondateurs modèlent des héros hybrides. Le frêle Spinario gagne une musculature digne de Hulk, Hercule rappelle les prouesses de Steve Reeves exhibant ses muscles saillants sur les affiches de films tout en se parant d’une coupe mulet, le personnage de Death Roses en proie au burn-out est victime d’une relation toxique. On retrouve déjà dans une de ses précédentes séries de peintures ces héros actuels qui ont remplacé ceux des mythes dans la culture contemporaine. Vojtěch Kovařík peint Samuel Peter et Mike Tyson en Goliath et subvertit ces récits tant de fois racontés pour en proposer sa propre version.

Les histoires que racontent les corps de Vojtěch Kovařík s’écartent des exploits des mythes grecs ou soviétiques. La vulnérabilité des figures se lit dans leurs positions : Spinario est replié sur lui-même, le regard vers le sol, la main gigantesque de Moonlight tient face à son visage une pomme dans un geste hamletien. Leur androgynie renforce également cette déconstruction : la ressemblance entre Artémis et son frère Apollon est troublante, les Hespérides — filles du Soir personnifié — prennent des traits masculins, les géants de Hidden Garden semblent ne faire qu’un. Empruntant à Zweig cet « éternel besoin de fabriquer des héros », Vojtěch Kovařík construit de nouveaux récits en actualisant les héros ancestraux qui inspirent encore notre imaginaire, en leur insufflant une humanité retrouvée. //


Exposition Hidden Garden by Vojtěch Kovařík
Jusqu’au 28 mars 2020 at Galerie Derouillon
38 rue Notre-Dame de Nazareth 75003 Paris
www.galeriederouillon.com


Vojtěch Kovařík, Artemis, 2020, courtesy of Galerie Derouillon © Grégory Copitet

Vojtěch Kovařík, Fight between Hercules and Apollo for the Tripod, 2020, courtesy of Galerie Derouillon © Grégory Copitet

Vue de l’exposition Hidden Garden de Vojtěch Kovařík, 2020 at Galerie Derouillon © Grégory Copitet

Vue de l’exposition Hidden Garden de Vojtěch Kovařík, 2020 at Galerie Derouillon © Grégory Copitet

Vue de l’exposition Hidden Garden de Vojtěch Kovařík, 2020 at Galerie Derouillon © Grégory Copitet

Vojtěch Kovařík, Snake eyes, 2020, courtesy of Galerie Derouillon © Grégory Copitet

En images : Vojtěch Kovařík à la Galerie Derouillon
https://thesteidz.com/wp-content/languages/de-en.php