Odonchimeg Davaadorj, racines écoféministes

Par Laëtitia Toulout

EXPOSITION // Depuis le 9 octobre, le centre d’art contemporain Transpalette, à Bourges, accueille parmi d’autres pièces d’envergure une installation d’Odonchimeg Davaadorj. Proposée par la commissaire Julie Crenn, l’exposition Even the rocks reach out to kiss you s’appuie sur le mouvement écoféministe afin de clamer la puissance créatrice comme cri de contestation. Une manière d’affirmer qu’il est aujourd’hui plus que nécessaire de s’approprier et revendiquer des histoires alternatives

Good morning, Fire! d’Odonchimeg Davaadorj rassemble des dessins et aquarelles créés entre 2017 et 2020, liés entre eux par des fils rouges. Se déployant dans l’espace et dans le temps, l’installation raconte l’enracinement. Dans les sociétés occidentales, l’être humain s’est extrait de tout ce qu’il a considéré comme appartenant à la nature afin de mieux l’observer, de mieux la dominer. Il a pensé le monde de manière cloisonnée, apportant des divisions et des catégories. Il est plus aisé d’abattre une forêt si nous n’estimons pas en faire partie ni qu’elle soit indispensable à la vie, sous-entendu, la nôtre, à court et moyen terme ; s’il n’y a pas là d’atteinte frontale à notre présent. Il s’agit alors, dans cette œuvre poétique de l’artiste mongole née en 1990, de retrouver les racines dont les arbres ont été coupé : réintégrer le corps avec l’esprit, former de nouveau un « tout » dans un « ensemble », apprendre à considérer chaque élément dans ses rapports avec les autres : des racines au tronc, du tronc aux branches, des branches aux feuilles, des feuilles aux racines, qui se multiplient, et de la sève qui coule afin qu’éclose la vie. Tout est lié. Les arbres à la terre et à l’air, les arbres entre eux, les arbres avec tous les êtres : pierre, animal, matière.

L’enracinement, c’est ici à la fois celui lié à une localité précise, à la terre qui nous a vu par exemple naître et grandir, où nous nous sentons chez nous, et qui prend sens à travers notre individualité. C’est une conception qui appartient à chacun. Notre histoire. Personnelle, intime. Mais à la fois, également, à l’ancrage au monde, à la Terre, cette globalité dont nous faisons partie. Une autre globalité est l’histoire commune. Celle qu’il nous faut questionner et réécrire sans cesse, avec nos propres mots, nos propres images, un prisme autre que celui qu’il a fallu apprendre et intégrer. Les peintures assemblées d’Odonchimeg Davaadorj sont une manière de voir, même si l’on met ses mains devant ses yeux ; voir au-delà du regard.

Dans Good morning, Fire ! le rouge bat le papier de ses pulsations spontanées. Odonchimeg Davaadorj peint avec la couleur du sang, des images universelles qui semblent presque automatiques. Souvent, il s’agit de corps féminins ; des corps qui dansent, libérés, des corps desquels poussent des fleurs, des arbres, des corps qui explosent sous la forme d’un volcan — sang et magma convergent et pulsent d’un même battement. Ce corps représenté à plusieurs reprises est celui duquel naît physiquement la vie. On pressent comme un désir de clamer, d’acclamer, un désir de révolution ; le sexe « faible » revendique justement ce corps oppressé qui est aussi, au sein de nombreuses sociétés et sur des millénaires, celui de la « Déesse ». Le culte de la Déesse est celui des rivières et des mers, du ciel et des montagnes, de l’air et du lait. La femme se relie à la nature et de ces liens, noués, tissés, s’élèvent force et puissance.

C’est tout le propos de l’exposition Even the rocks reach out to kiss you dans laquelle il est suggéré d’écarter un instant nos œillères pour appréhender la réparation de notre monde par la puissance évocatrice des images. Des femmes dansent ? À nous de les rejoindre dans leur ronde. Odonchimeg Davaadorj crée un conte en imbriquant des figures entre elles ; le fil cousu entre les êtres et les scènes s’allonge jusqu’à embraser d’autres femmes volcans, embrasser d’autres formes et d’autres corps, diverses images, et aussi de nouvelles spiritualités et d’inédits sortilèges. //


Exposition Even the rocks reach out to kiss by Julie Crenn
at Transpalette
26, route de la Chapelle, 18000 Bourges
www.antrepeaux.net


Odonchimeg Davaadorj, racines écoféministes