Hélène Bertin, cueilleuse d’histoires

Deux ans après avoir invité Hélène Bertin à concevoir le mobilier d’accueil du centre d’art Le Creux de l’enfer à Thiers, celui-ci propose une exposition monographique de l’artiste co-produite par AWARE (Archives of Women Artists, Research and Exhibitions) qui lui a décerné son prix éponyme en 2019.  

Le titre de l’exposition, “Cahin-caha“, rebondit comme l’écho d’une onomatopée. La résonance enfantine n’est pas anodine, tant Hélène Bertin (née en 1989) a le goût pour transmettre ce rapport direct à la joie qu’on attribue souvent aux enfants. La première partie de l’exposition leur est d’ailleurs dédiée : trois bacs à sable de différentes tailles et des figurines en céramique s’accordent de leur plein gré à l’imagination et aux gestes des plus jeunes, ravis du terrain de jeux. 

De manière générale, les œuvres d’Hélène Bertin invitent à raconter des récits, se font les supports pour rendre possibles les narrations de tout un chacun, qu’il s’agisse de mots, de formes, de sons ou de cafouillages. Comme un panier plein de fruits, ses travaux prennent sens quand ils amassent des histoires cueillies de-ci de-là. Parfois, ils mettent en exergue : c’est le cas de cerfs-volants tout en courbes, accrochés au-dessus des bacs à sable et qui invitent à regarder plus haut, à voir dans le plafond les marques du lieu, en l’occurrence une ancienne coutellerie. Avec davantage de recul, ces toiles suspendues se font les voiles des bacs aux formes de coques de bateaux, et nous naviguons sur les flots de la rivière Durolle dont le lit est effectivement tout proche. D’autres fois, les œuvres elles-mêmes racontent. Une fausse ouverture en forme de portail d’église invite l’esprit à entrer, tandis que le corps peut s’assoir sur un banc, s’adosser au mur et feuilleter les pages d’un livre : Le Chant de la Piboule — que l’artiste a publié aux éditions Facette, en 2020. On plonge alors dans le conte de L’arbre de mai, frêne qui révèle comment les habitants de Cucuron, village natal de l’artiste, l’honorent à l’occasion d’une fête annuelle.

L’artiste se fait ici folkloriste en se situant à la lisière des arts et de l’anthropologie. Elle se concentre sur des traditions qu’elle connaît et pratique depuis toujours et dont elle rassemble les traces, réhabilite les récits, dans une optique tant de conservation que de transmission. Pour Jean-Marie Gallais, « l’idée générale d’un retour aux traditions et aux rituels ancestraux a pu être corrélée à un moment de rejet partiel de la globalisation et de la consommation planétaire […] » (“Portrait de l’artiste en Folkloriste” dans Folklore, éditions La Découverte, 2020). C’est dans cette tradition que se situe Hélène Bertin, qui a à cœur d’inscrire l’art au cœur du quotidien, de réhabiliter les gestes qui nous lient aux savoirs anciens. Ainsi, à l’étage, se dévoile devant nous une installation sans âge : Le Jardin des paniers, un ensemble de contenants de taille différentes et en poterie, aux couleurs de rouille et d’argile, présentés sur un socle. Cette disposition donne la distance que l’on accorde généralement aux objets précieux, comme c’est le cas pour les fragments issus de passés lointains qui nous sont donnés à observer dans les musées d’archéologie.

Ici, l’utilitaire se fait œuvre, de même que des bouquets de céréales sont renversés, prenant la forme globale d’une tente — l’accueil, avant toute chose. Plus loin, dans l’espace de la grotte, un mobile scintille à la lumière. Des céramiques pétrifiées aux fontaines de Saint-Nectaire, les pièces sont disposées au bout de mèches de crin de cheval tressées sur un arc en bois. Enroulées sur elles-mêmes, ces « bulles » concrétisent des voix enregistrées. Des voix de corps absents. Les œuvres rendent consistante l’éventuelle disparition, et se font, là encore, réceptacles de l’altérité, telles de symboliques reliques.

Plusieurs bandes-sons — composées par Romain Bodart — nous transportent parmi les œuvres et activent l’exposition. “Cahin-caha” retrace les passages obligatoires et synthétiques d’une existence, de l’enfance à la mort, en passant par la fécondité. Au-delà de ce parcours intemporel et par-delà la vie, c’est tout un ensemble d’échanges qui s’articulent, tels les membres des pantins de céramique présentés à l’étage. Alors, les frontières éventuelles se brouillent entre les morts et les vivants, entre les gens d’ici ou d’ailleurs, entre les plus jeunes et les plus vieux ; le dialogue se fait, joyeux, au sein d’une grande fête ou autour d’un café sur des tables rehaussées de vrais pieds en céramique, clin d’œil in situ. Mais il s’agit encore là d’une autre histoire…. •


Exposition “Cahin-caha” by Hélène Bertin
jusqu’au 30 avril 2021 at Le Creux de l’enfer
85, avenue Joseph Claussat, 63300 Thiers
creuxdelenfer.fr


Hélène Bertin, Le jardin juvénile, installation, Le Creux de l’enfer, 2020 © Vincent Blesbois

Hélène Bertin, Le jardin juvénile (détail), installation, Le Creux de l’enfer, 2020 © Vincent Blesbois

Hélène Bertin, Le jardin juvénile (détail), installation, Le Creux de l’enfer, 2020 © Vincent Blesbois

Hélène Bertin, Le jardin juvénile (détail), installation, Le Creux de l’enfer, 2020 © Vincent Blesbois

Hélène Bertin, Le jardin des paniers, installation, Le Creux de l’enfer, 2020 © Vincent Blesbois

Hélène Bertin, Le jardin des paniers (détail), installation, Le Creux de l’enfer, 2020 © Vincent Blesbois

Hélène Bertin, Le jardin des paniers (détail), installation, Le Creux de l’enfer, 2020 © Vincent Blesbois

Hélène Bertin, Le jardin des voix, installation, Le Creux de l’enfer, 2020 © Vincent Blesbois

Hélène Bertin, Le jardin des voix (détail), installation, Le Creux de l’enfer, 2020 © Vincent Blesbois

Hélène Bertin, cueilleuse d’histoires
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