À travers ses tableaux-objets imprégnés d’icônes consuméristes, Nick Doyle (né en 1983) rend compte d’une Amérique artificielle, et renverse un “way of life” dominant. Sa première exposition à Paris, présentée chez Perrotin, signe un pop art contemporain où l’accident domine et où les clichés s’offrent à une double lecture : du cartoonesque à la triste réalité.
- Ta pratique est ancrée dans une vision pop de l’Amérique par l’utilisation de ses codes et symboles culturels. Souhaites-tu plutôt représenter un “American dream” ou un “cauchemar américain” ?
Nick Doyle : Je dirais que ce que je souhaite dépeindre, c’est un conflit entre les deux. Les États-Unis sont un pays patriarcal, capitaliste, et forment une société individualiste. Par ce critère, le modèle idéal est un homme blanc qui ne doit rien à personne excepté à lui-même, et qui priorise la réussite, le succès, avant tout. L’élection présidentielle de Donald Trump incarne cela parfaitement, selon moi. Nous avons été victimes d’un “bouffon blanc” traitant mal ses sentiments. Je pense que le cauchemar survient parce que nous avons modelé un standard irréaliste pour l’individu qui est en conflit avec ce qui ferait vraiment une société idéale : des communautés et des économies durables, ainsi que de véritables idéaux démocratiques.
- Comment cette couleur bleue, omniprésente dans ton travail, s’attribue-t-elle une valeur symbolique ?
Nick Doyle : Le bleu provient de l’indigo que l’on retrouve traditionnellement sur le denim américain. La culture commerciale d’origine était l’indigo, avec son importation et son histoire problématiques. Et une fois que le coton est entré dans ce schéma, les deux se sont combinés pour créer le fameux jean bleu, entamant ainsi une obsession qui a parcouru tout le cours de l’histoire américaine. À travers la ruée vers l’or, diverses révolutions culturelles comprenant la naissance et la mort de nombreuses sous-cultures, le denim a tenu rôle de symbole de tous ces différents idéaux et exploitations. Cela est tellement fort que j’y perçois un symbole idéal des contradictions de l’Amérique: une Amérique si fière de son solide individualisme et qui continue d’ignorer combien de personnes ont été et continuent d’être exploitées pour que ce symbole existe.
- Cuir, textiles, denim : cette diversité de matériaux souples et flexibles définissent tes “toiles”. Pourquoi t’attirent-ils particulièrement ?
Nick Doyle : J’apprécie ces matières pour les qualités de durabilité et de flexibilité qu’ils offrent. J’ai beaucoup utilisé d’eau et de vapeur dans mon procédé de travail, pour repousser les limites du matériau. Je tends aujourd’hui à les utiliser de manière plus brute, je peux être un peu insouciant et impatient parfois, donc avoir ces matières durables et indulgentes m’autorisent à faire des erreurs. Je suis sûr qu’il y a un certai symbolisme derrière tout ça mais je ne peux pas l’expliquer ici, cela arrivera certainement entre mon thérapeute et moi !
- Tu es originaire de Los Angeles et tu vis désormais à Brooklyn. En tant qu’Américain, est-ce que le “American way of life” t’inspire toujours ?
Nick Doyle : Définitivement. Je réfléchis beaucoup à la nostalgie et son rôle dans la culture américaine. Je suis fasciné par la manière dont l’Amérique de l’Ouest continue de projeter des images solides de cowboys, de tellement d’histoires extraordinaires, et d’exceptionnalisme américain. Je pense que cette nostalgie garde les Américains dans une sorte de boucle de rétroaction psychologique qui est émotionnellement et culturellement régressive. Presque comme un purgatoire ou un “Enfer” de Dante, en vie réelle. Je procède à des allers-retours en expérimentant un humour extatique et une dépression tranquille à propos de cet état d limbes… •
Exposition “RUIN” by Nick Doyle
Jusqu’au 28 mai 2022 at Galerie Perrotin
76, rue de Turenne 75003 Paris
www.perrotin.com