L’œuvre de Sif Itona Westerberg (née en 1985, Danemark) prend racine entre deux mondes : la mythologie et l’espace physique du réel. Dans cette valse des univers, des reliefs muraux représentent des créatures hybrides et des figures humaines en béton cellulaire.
Certaines sculptures s’érigent sur le sol, encastrées dans un réseau de tubes métalliques. À leur bout, des bassins d’eau font office de fontaine de jouvence (Fountain, 2019). Tout tient ici de la tragédie grecque revisitée : les personnages se livrent à des scènes d’orgie et de célébration, dans une facture proche de la poterie grecque antique. Il y a une forme de violence dans l’ivresse des personnages figurés. Des femmes et des hommes en transe cherchent à atteindre une communion avec leur dieu et « la nature », au sens spirituel du terme. À partir des cérémonies liées au culte de Dionysos, dieu du vin et des excès, Sif Itona Westerberg discute des systèmes de croyance, d’image et de représentation.
Pour ce faire, la plasticienne danoise multiplie les références à des symboles et des histoires diverses. L’imagerie raffinée du monde antique gréco-romain croise le matériau hyper industriel du béton. Des éléments reprennent, sans crainte d’anachronisme, les formes de gargouilles médiévales. Ce système de dissolution des frontières entre les époques et les iconographies fonctionne par parasitage. Ici et là, des éléments rappellent à la fois l’atemporel et le présent, l’aseptisé et l’organique, le brut et le raffiné. Avec, pour effet, la refiguration du mythe dans le réel. L’artiste pose la question : comment penser les mutations technomorphes modernes à partir des mythes et des légendes ?
Dans une perspective de remise en question des dualismes forgés entre le monde rationnel moderne et la pensée mystique, Sif Itona Westerberg explore le rôle structurant que peut jouer le récit mythique dans nos sociétés. Quel rapport entre le mythe dionysiaque, joyeux et fatal, et le temps contemporain ? Entre le panthéisme des Grecs anciens et le post-anthropocène ? Orienté dans le sens d’une perte de contrôle et de désinhibition, le mythe de Dionysos offre des pistes de réflexion sur la transcendance des limites morales de l’espèce humaine.
De ces notions d’imagination, de fantaisie et de chimère, Sif Itona Westerberg aborde aussi la fascination que l’humain éprouve pour les croisements inter-espèces. Au départ de sa réflexion, un paradoxe. Alors que les sociétés modernes relativistes ont relégué les êtres chimériques au rang de fabulation, les avancées des technosciences permettent de créer de nouvelles espèces génétiquement modifiées, qui prennent elles aussi le nom de chimères. Les manipulations de cellules-souches par l’humain pourraient, à terme et à défaut de législation, entraîner la création d’embryons-créatures. Alors si le domaine de la biomédecine est désormais capable d’engendrer de nouvelles formes de vie dans les laboratoires, jusqu’où peut-on aller dans la production de nouvelles espèces hybrides? Où se situe la frontière entre l’histoire et la fiction ? Si nous sommes encore loin de créer de vraies chimères, la barrière entre les espèces serait de plus en plus proche d’être levée. À la clé, un brouillage entre notre réalité contemporaine et ce qui appartenait jusqu’à présent au récit fictionnel. Ceci en tête, son œuvre pointe un télescopage entre les mondes ; Westerberg invite à réfléchir aux trajectoires de l’histoire, et des histoires. •
Sif Itona Westerberg
sifitona.com