Invitation à la déambulation visuelle comme physique, l’exposition “Wonder, Wander” de Chloé Quenum (née en 1983, Paris) se lit comme un carnet de voyage. L’artiste y rassemble des objets indéterminables dont l’aura iconographique véhicule des souvenirs d’été et d’ailleurs.
La porte grande ouverte laisse une tendre brise animer les morceaux de voile roses tendus sur des cordes à linge. Ce jour de mai, on pénètre dans « Wonder, Wander » — solo show déambulatoire consacré à l’œuvre de Chloé Quenum —, comme on se baladerait sur une plage déserte, heureux de trouver sur notre route des coquillages précieux de couleur bleue, aussi bien que des rebuts, cabas Barbès abandonné et autres déchets en bois difficilement identifiables. Un air de vacances en écho avec le sentiment qui se dégage des pièces de l’artiste, nous invitant à nous déplacer dans une carte postale abstraite, dont les œuvres sont à la fois le décor et les personnages. Avec force de sculptures en verre soufflé, de hamac précieusement tissé et encadré, de mots brodés sur des lés de tissus tendus au mur, ou encore d’objets trouvés, ramassés et remodelés, Chloé Quenum crée un paysage imaginaire dans lequel on entre aussi lentement que l’on se souviendrait, à peine réveillé d’une lourde sieste, d’un rêve estompé.
Plutôt que d’une description des lieux ayant abrité son travail (de la Nouvelle-Zélande aux palais royaux d’Abomey au Bénin), Chloé Quenum transmet des impressions par touches, travaillant son installation in situ comme une nature morte. Un paysage prenant vie grâce aux conjectures que l’on se formule à la découverte des objets disposés dans la galerie. Les oeuvres sont construites autour du mystère, à l’image de Donne du repos à ton corps, que ton poumon souffle doucement car mes yeux sont sur toi (2016), série de sculptures reprenant le principe et les symboles du rébus selon la tradition aboméenne des frises historiées, mais l’on se détourne rapidement de l’envie d’y trouver du sens. Plus précisément, le sens se déplace, et l’impression de se balader dans un paysage de souvenirs mis en relation par le hasard et l’intuition de l’artiste s’accentue. Il est question de dessiner une errance visuelle, de la coucher dans l’espace comme sur du papier, comme l’on prend des notes ou comme l’on griffonne une carte postale. Une question trotte dans l’esprit. Si une carte postale en trois dimensions nous est bien adressée sous la forme de souvenirs de voyage assemblés, depuis quel lieu Chloé Quenum nous écrit-elle ?
Peut-être depuis une région du monde que nous habitons tous sans y prêter attention. À savoir l’archipel imaginaire que forment, tous mêlés, souvenirs, balades et déplacements solitaires. Les traces qu’ils laissent dessinent dans nos vies une mythologie individuelle, une épopée affective. On a tous déjà entendu parler de ce fameux voyage en Birmanie bouleversant, de cet échange universitaire au Danemark, de cette résidence artistique “fondamentale” de deux semaines, du week-end à la campagne qui sauve la vie, de la retraite silencieuse incontournable, ou des six mois passés à sillonner l’Asie finissant par prendre l’importance de l’Odyssée pour nos proches. D’où l’intérêt de cartographier ces aventures à hauteur de ce qu’elles représentent dans nos vies : des épi-évènements, des vaguelettes qui, l’une s’échouant sur la suivante, finiront par former un tsunami d’affects humains projetés sur des lieux. Les espaces libres laissés sur la tenture Irène (2018), invitent alors le visiteur à projeter ses souvenirs sur la toile, pour tisser avec l’artiste une tapisserie collective en comblant ses trous de mémoire. Irène devient un document sensible et malléable, une archive composée des micro événements qui regroupent nos histoires personnelles dans des lieux secrètement animés. •
Exposition “Wonder, Wander” by Chloé Quenum
Jusqu’au 20 mai 2023 at galerie Florence Loewy
9, rue de Thorigny – 75003 Paris
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