Premier solo show à Bruxelles d’Anne Marie Laureys, “Bise” souffle aux yeux du visiteur une singulière série de sculptures en céramique. Silhouettes torsadées, couleurs mystérieuses et volumes éclatés : les œuvres qui peuplent La Verrière, espace d’exposition de la Fondation d’entreprise Hermès, expirent toute la subtilité du geste artistique et artisanal.
Dans le Talmud, le golem est un être magique informe, dont la matière de glaise n’a pas encore trouvé ses contours définitifs, amenés ensuite à accueillir une âme. Provisoirement, l’humanoïde est condamné à voir sa chair constamment dégouliner à l’épreuve de la pluie, durcir au soleil, s’engourdir au contact de la terre, se creuser face au vent… Les sculptures d’Anne Marie Laureys (née en 1962, Beveren) racontent cette précarité de la matière, sans cesse déformée par les éléments. Contrairement aux chocs brutaux que peuvent provoquer les bourrasques et autres ouragans, l’artiste travaille ses morceaux de terre délicatement, comme pour laisser au regard la possibilité de ressentir la matière terreuse lui filer entre les doigts lorsqu’elle la modèle sur un tour. Un travail de poterie traditionnel, symbolisé par les piédestaux sur lesquels les céramiques reposent sagement, en cercle, au milieu de l’espace cubique de La Verrière, à Bruxelles.
C’est donc plutôt comme une bise, ce souffle plus délicat, toutefois tranchant et précis, que les mains d’Anne Marie Laureys semblent déformer la terre avant la cuisson. Car les sculptures que l’on découvre en pénétrant l’espace sont autant d’objets rigoureusement colorés de nuances, déclinées du bleu glacier à l’orange brûlé en passant par le parme, dont on sent que la forme a été composée avec le plus grand soin. Une formule de création permettant d’évoquer autant le relâchement de la lourde terre à brique que la rotation effrénée du tour. Ainsi comprend-on que c’est bien la cuisson des céramiques qui fige les poses prises par la terre grâce au truchement de l’imagination doigtée de l’artiste. Cela étant dit, au même moment, le visiteur ressent l’esprit de tournoiement qui caractérise la création sur tour, et que son corps reproduit par la chorégraphie imposée par l’observation des sculptures encerclant la salle. Toujours dans le même temps, la rapidité du travail circulaire de la matière est soulignée par l’effet de contraste qu’impose la sculpture d’Auguste Rodin, dont le modelé appuyé permet de mieux comprendre les envolées d’Anne Marie Laureys.
Comme dans le récent film de Kelly Reichardt, Showing Up (2022), où l’on voit une jeune artiste névrosée s’évertuer à malaxer la terre, l’astucieux commissariat de Joël Riff permet de saisir à quel point les céramiques contiennent les humeurs de leur créateur. Le titre de l’exposition est en ce sens justement trouvé, illustrant un vent précis qui fouette le visage, et ce doux contact de lèvres mouillées sur l’épiderme, exprimant les sentiments, la proximité des corps, et tous les affects que peut transmettre le contact entre deux peaux. La malléabilité de la terre glaise — dont l’écho visuel se retrouve dans les peintures de Maude Maris qui surplombent l’espace — serait messagère d’émotions secrètement portées par nos corps, exhibées par la sculptrice. •
Exposition “Bise” by Anne Marie Laureys
Jusqu’au 29 juillet 2023 at La Verrière
Boulevard de Waterloo 50 – 1000 Bruxelles
fondationdentreprisehermese.org