Au Mrac Occitanie, John Armleder ou l’intérêt du verbiage visuel

Le Musée régional d’art contemporain Occitanie accueille une exposition dédiée à John Armleder (né en 1948, Genève), qui célèbre la matérialité des objets à coups d’accidents volontaires. Transversalité des espaces, polymorphisme, pluralité esthétique : ce solo show cristallise des médiums diversifiés au service d’une grammaire redéfinissant le pop.

Ambiance laiteuse au premier étage du Mrac Occitanie. Comprendre qu’une musique à volume bas sert d’introduction à l’exposition “Yakety Yak” — expression de patois américain désignant le bavardage —, premier solo show de John Armleder en France depuis une quinzaine d’années. Dès l’entrée, la pièce sonore Mondo Tiki Mix (1983) tapisse les murs de son aura mystérieuse. Une ambiance redoublée par des néons roses posés au sol, gisant dans l’entrée comme abandonnés. En avant-goût, ces deux pièces signalent que l’on s’apprête à pénétrer une atmosphère épaisse d’angoisses et d’éléments pop teintés d’une fantaisie qui tient au penchant de l’artiste pour les accidents visuels et formels. En passant le pas de la porte, tout repère spatio-temporel brouillé, un effet de désorientation submerge l’esprit jusqu’à penser qu’on pourrait aussi bien se trouver à Los Angeles, dans un musée suisse ou à Sérignan, dans le sud de la France ; aussi, un étourdissement constant à la vue des sélections de Furniture sculptures, Puddle et Pour paintings de l’artiste présentées dans les salles suivantes. Ainsi énoncé en préambule, on comprend que cette rétrospective invite à s’immerger dans la méthode de travail Armleder, sorte de notice explicative de ce mystérieux penchant de l’artiste pour l’accidentel.

John Armleder revendique un modus operandi à la Picabia : “faire un peu de tout, tout le temps, en même temps”. Cette approche explique l’apparente variété des œuvres exposées, entre pièces de mobilier juxtaposées aux formes minimalistes de peintures pailletées qui les surplombent, installations de boules à facettes, cerveaux d’animaux délicatement chromés, miroirs brisés, sapins de Noël argentés et autres photographies de planètes placardées au mur. Mais l’éclectisme exhibé des œuvres, répondant à la pratique toujours variée de l’artiste, émane de ce même goût pour la préparation, la mise en place et la dissection de l’éclosion d’un accident, quel qu’il soit, visuel, sonore, matériel, conceptuel. Car toutes les œuvres sont accidentées. Les grandes peintures, Eigashima (2022) et Yakety Yak (2022), aspergées de couleurs coulantes et de brillants, reflètent la volonté de l’artiste de laisser vivre la matière. Elle sèche sur la toile à l’horizontal, coule à la verticale, laisse derrière elle une traînée d’éléments chimiques en ébullition, mettant quelques jours à se stabiliser dans des tons étonnants, comme une photographie des mutations constantes de ses composantes au contact les unes des autres.

C’est donc une forme de chaos qui frappe la rétine, une suite de citations picturales des avant-gardes, de monuments du design moderne et de références pop à la musique disco, dans tout ce que ces influences ont en commun de bling bling et de clinquant. Au rythme de la musique d’ambiance dont les échos ne quittent pas les oreilles du visiteur, l’artiste entame alors, l’air de rien, une méditation méthodique au sujet de la matérialité de l’art. Les œuvres, si séduisantes soient-elles, sont aussi bien incarnées dans les objets que l’on observe, que dans les protocoles qui les voient naître. Comme si les objets n’étaient que traces, vestiges du processus de création, une forme d’accroche, de bavardage nécessaire, un premier pied dans l’eau avant de plonger la tête dans l’immatérialité du procédé John Armleder. En provoquant des accidents, en les documents par des objets élevés au rang d’œuvres, l’artiste invite à renouer avec l’imprévisible, au cœur de l’expérience de la visite d’exposition et du mécanisme de création, ici souligné par une suite d’objets et d’effets visuels étranges, dont la matérialité est interrogée par la présence lancinante de la bande son de l’exposition. En effet, Mondo Tiki Mix dure 61 minutes et 45 secondes, le temps d’un film, le temps de s’amuser à penser comment la peinture, la disposition des objets, la lumière qu’ils reflètent et la musique qui les empaquette dialoguent avec nos perceptions, redéfinissant sans cesse le périmètre des murs qui nous enferment dans une salle d’exposition à Sérignan.


Exposition “Yakety Yak” by John Armleder
Jusqu’au 24 septembre 2023 at Mrac Occitanie
146, avenue de la Plage – 34410 Sérignan
mrac.laregion.fr


Vue de l’exposition de John Armleder, “Yakety Yak”, Mrac Occitanie, Sérignan, 2023 © Mrac Occitanie

John Armleder, Opar 7, 2007, 7 planches de surf, 264 x 51 x 10 cm chacune © Mrac Occitanie

John Armleder, Smoothie II (furniture sculpture), 2019, acrylique sur toile (150 x 280 cm), deux sofas (180 x 140 x 100 cm chacun) par Ubald Klug & Ueli Berger, 1972.

Vue de l’exposition de John Armleder, “Yakety Yak”, Mrac Occitanie, Sérignan, 2023 © Mrac Occitanie

Vue de l’exposition de John Armleder, “Yakety Yak”, Mrac Occitanie, Sérignan, 2023 © Mrac Occitanie

John Armleder, Waste, 2008, néons, dimensions variables © Mrac Occitanie

Vue de l’exposition de John Armleder, “Yakety Yak”, Mrac Occitanie, Sérignan, 2023 © Mrac Occitanie

Vue de l’exposition de John Armleder, “Yakety Yak”, Mrac Occitanie, Sérignan, 2023 © Mrac Occitanie

John Armleder, Out! (Out!), 2013, vitrine en chêne et verre contenant des moulages de cerveaux d’animaux d’après les modèles de papier mâché du docteur Auzoux, 180 x 130 x 40 cm © Mrac Occitanie

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