Anouk Kruithof, un vertige par l’image

Modeler l’image virtuelle pour la rendre tangible : Anouk Kruithof pousse la contemplation visuelle vers une appréciation sculpturale. Sa production foisonnante, qui s’étire jusqu’à l’installation, fait l’objet d’une exposition au Centre Photographique d’Île-de-France. 

L’extension de nos existences en vies numériques nous force à plonger sans limite dans les images. À tel point que nous nous trouvons presque en immersion, traversés par ce sentiment de noyade dans un feed Instagram, capable de zoomer à l’excès sur un détail de capture d’écran, jusqu’à pouvoir observer la couleur du moindre pixel. Au Centre Photographique d’Île-de-France, les photographies en trois dimensions de l’artiste Anouk Kruithof (née en 1981, Pays-Bas) reproduisent ce phénomène. L’exposition “Tentacle Togetherness” engloutit le visiteur dans ce foisonnement constant d’images tronquées, zoomées ad nauseam..

Anouk Kruithof puise ses images au hasard des banques en ligne, des sites Internet ou des réseaux sociaux pour en extraire des scènes qu’elle estime symptomatiques de notre temps. La sculpture Sorry no definition found… (2015) est constellée de morceaux de publicités tandis que Folly (2017) est composée de vues aériennes de catastrophes écologiques. Mais Kruithof ne se limite pas à la constitution d’un livre d’images glanées au hasard de ces intérêts. Une fois extraites, les visuels numériques sont imprimés sur divers supports, en plastique principalement, puis modelés, étirés, coupés, afin de se transformer en sculptures. L’artiste rend ainsi aux images leur sensualité en les déformant au point de l’abstraction, travaillant le plastique en drapé à la manière de Petrified sensibilities 8 (2017), ajoutant des objets, comme des tubes ou des masques à oxygène, suggérant l’impression d’asphyxie éprouvée par les internautes.

Mais l’exposition ne traite pas que de cette passion contemporaine pour les images numériques, elle interroge aussi les frontières poreuses entre photographie et sculpture. Dans la salle principale du CPIF, les feuilles de plexiglas imprimées et les images montées sur des perches à selfie transformées en socle constituent davantage une seule et immense installation qu’une succession d’œuvres isolées. La rétrospective a été conçue comme une expérience continue, pas de chronologie ni de thème particulier, seul le désir d’éclairer le point de vue d’une plasticienne sur sa matière première, iconographique. Comme en témoigne la série que l’artiste consacre aux sudations des corps de ses modèles, Sweat-stress, Anouk Kruithof réunit émotions et images en les transposant en trois dimensions. Tant et si bien que Façade (2014) contraint le visiteur à tourner autour de briques de béton et de costumes gris, manière de communiquer l’étourdissement ressenti par l’artiste dans son quotidien new-yorkais. C’est au tour du visiteur d’éprouver un profond vertige en sortant de l’exposition, se demandant si notre obsession pour ce flux d’images qui déborde dans nos vies connaît une limite. L’exposition répond par la négative, tant les échos de Universal Tongue (2018), une boucle de centaines de vidéos de danses enivrantes work in progress que l’artiste réalise en collaboration avec des dizaines de personnes, retentissent à l’infini dans les salles du centre d’art.


Exposition “Tentacle Togetherness” by Anouk Kruithof
Jusqu’au 16 septembre 2023 at Centre Photographique d’Île-de-France
107, avenue de la République – 77340 Pontault-Combault
cpif.net


Vue de l’exposition d’Anouk Kruithof, “Tentacle Togetherness”, Centre Photographique d’Île-de-France, Pontault-Combault, 2023 © Aurélien Mole.

Anouk Kruithof, So bad, even introverts are here (détail), 2021, courtesy de l’artiste et de la galerie Valeria Cetraro, Paris.

Vue de l’exposition d’Anouk Kruithof, “Tentacle Togetherness”, Centre Photographique d’Île-de-France, Pontault-Combault, 2023 © Aurélien Mole.

Anouk Kruithof, Sweat-stress (armpit / color-blur), 2013, courtesy de l’artiste et de la galerie Valeria Cetraro, Paris.

Anouk Kruithof, Force quit unresponsive acts, 2021 © Aurélien Mole.

Anouk Kruithof, Stonewall, 2017 © Aurélien Mole.

Vue de l’exposition d’Anouk Kruithof, “Tentacle Togetherness”, Centre Photographique d’Île-de-France, Pontault-Combault, 2023 © Aurélien Mole.

Anouk Kruithof, Folly, 2017 © Centre Photographique d’Île-de-France

Vue de l’exposition d’Anouk Kruithof, “Tentacle Togetherness”, Centre Photographique d’Île-de-France, Pontault-Combault, 2023 © Aurélien Mole

Anouk Kruithof, un vertige par l’image