On a aimé : “Made in rice” de Hien Hoang

Avec Made in rice (2021), l’artiste d’origine vietnamienne s’attaque à l’image globalisée de la culture asiatique. Jusqu’à saturation, elle y incarne les difficultés liées à son identité et déjoue les stéréotypes par un détournement des attributs, attitudes et symboles.

Présentée aux Rencontres d’Arles, Made in rice est une performance filmée par trois caméras scrutant ce qui s’apparente à un rituel gastronomique tiré au cordeau, mélange de clichés et de traditions asiatiques bien réelles. Vietnamienne installée en Allemagne depuis quelques années, Hien Hoang (née en 1990) observe comment l’Occident absorbe des pans de la culture pour les traduire en une esthétique asiatique diluée, ponctuée de séduisantes jeunes femmes en tenue soyeuse, de bols peints de motifs bleus, et de plats à base de riz qu’on tente d’ingurgiter avec des baguettes. Tout cela donnant un bouillon de cultures amalgamées, source d’indifférence et d’ignorance, origine des agressions xénophobes dont l’artiste a pu elle-même être la cible.

Le triptyque Made in rice se constitue en forme d’exploration visuelle de ces clichés. Des couleurs sourdes, jaune curry, bleu majorelle, rouge sanguin, vert forêt… servent d’arrière-plan aux objets qui traduisent une vague culture asiatique dans l’œil occidental. On reconnaît un maneki-neko (chat porte-bonheur), des sauces au soja dans leur bouteille industrielle, des carillons en papier rouge flanqués d’or ainsi que des feuilles de bananiers et autres orchidées. Autant de symboles d’évasion et de raffinement véhiculés depuis les années 1990, alors que les gastronomies asiatiques gagnent le zeitgeist métropolitain mondial. Un paysage de rivière sert aussi de décor au plat principal de cette pièce en trois temps, une performance chorégraphiée par Hien Hoang, s’imposant comme une mise en mouvement des déformations violentes que subissent les cultures d’Asie lorsqu’un esprit mercantile les exporte.

Au fil de la vidéo, le regardeur observe un homme tremper des feuilles de riz arrondies dans un grand bol. Il applique la pâte visqueuse sur son corps recouvert d’une combinaison, formant de lourdes excroissances de riz qui empêchent ses mouvement, en correspondance visuelle avec le filet enfermant une jeune femme dans une autre partie de la vidéo. La culture d’origine, sa saveur, ses couleurs et ses codes, voire même sa beauté — figurée par l’équilibre plastique de la réalisation, finissent par étouffer les personnages. Ils se trouvent noyés dans ce dédale de références culturelles qu’un œil mal avisé peine à distinguer et aura vite fait de confondre sous le vaporeux terme d’“asiatique”. La rigidité de la mise en scène dédoublant l’effet d’étouffoir, on comprend, sans discours, qu’une fois la culture, les traditions et les codes visuels étrangers neutralisés par l’industrie, ces symboles peuvent se retourner contre leurs héritiers avec une ironie cruelle. Ce qui inspirait une fascination et un intérêt marchand se voit transformer en arme au bras de la discrimination. À travers Made in rice, Hien Hoang, à l’image du personnage masculin, boursouflé, saturé et recouvert de feuilles de riz, se demande comment apprendre à respirer loin de chez soi, alors que l’on voit sa culture déformée, pétrifiée par le regard de celui qui la méconnaît. 


Hien Hoang
hien-hoang.com


Hien Hoang, Made in rice, 2021, courtesy de l’artiste © Hien Hoang

Hien Hoang, Made in rice, 2021, courtesy de l’artiste © Hien Hoang

Hien Hoang, Made in rice, 2021, courtesy de l’artiste © Hien Hoang

Hien Hoang, Made in rice, 2021, courtesy de l’artiste © Hien Hoang

 

On a aimé : “Made in rice” de Hien Hoang