Cinq personnages en rang d’oignons, tous en tenue d’Ève et d’Adam, certains plantés au garde-à-vous, d’autres recroquevillés, courbés en avant ou les bras écartés. Séance d’acrogym dérisoire, leurs corps dessinent des lettres : I-D-I-O-T. C’est bête, mais pas méchant.
Pour sa cinquième exposition personnelle à la galerie Maria Lund, Marlon Wobst (né en 1980, Allemagne) démontre une fois encore combien il maîtrise l’art de la décomplexion. Ici, les corps sont libres, les nudités joyeuses, les scènes légères. Entre baignades et parties de jambes en l’air, l’artiste allemand nous entraîne dans un monde où la poésie règne sans jamais rien prendre au sérieux. Surtout, il laisse émerger une réflexion très actuelle sur le sens de l’existence et sur ce qui nous rassemble.
Contrant l’imagerie spectaculaire et virtuose à laquelle notre société hyper-esthétisée nous a habitués, Wobst a depuis longtemps pris le parti d’une touche naïve et économe. Chez lui, quelques coups de pinceaux, quelques gestes suffisent à donner vie à des figures loufoques, dont les silhouettes maladroites paraissent toujours sur le point de se fondre dans le décor. C’est une œuvre modeste et sympathique, qui ne regarde jamais de haut et dans laquelle la couleur, tantôt brillante et vive pour ce qui est des céramiques émaillées, tantôt plus tendre dans les peintures à l’huile, ou bien plus contrastée dans ses grandes tapisseries de laine feutrée, concourt à séduire l’œil et à varier subtilement les occurrences d’un même récit aux airs de comptine pour enfant ; une histoire anodine dans laquelle les membres de la petite tribu de l’artiste semblent avant tout mus par l’urgence de jouir et par le désir de s’adonner au jeu et à l’oisiveté. Pourtant, que l’on ne s’y trompe pas, derrière cette allégresse apparente, se cache un constat plus ambigu, teinté d’ironie douce-amère.
Souvent, à bien y regarder, le ciel est orageux, et si l’on s’ébat, si l’on joue, si l’on se retrouve et s’étreint, c’est surtout pour ne pas sombrer, ne pas se laisser submerger par le vide qui menace. Dans son petit théâtre des vanités, Wobst met donc aussi en scène la vacuité de nos existences. Il y a dans ces saynètes quelque chose d’un sursaut avant la chute, un réflexe de bonheur facile, la conscience d’aller droit dans le mur tout en se demandant que faire, sinon continuer à courir. Une dernière partie de beachvolley ? Un ultime selfie sur la plage ? Au fond, qu’importe, car après nous, la fin du monde. •
Exposition “Tribus” by Marlon Wobst
Jusqu’au 13 janvier 2024 at galerie Maria Lund
48, rue de Turenne – 75003 Paris
marialund.com