Réapparue sur les podiums dès 2022 comme une prédiction du succès du film Barbie sorti l’été dernier, la tendance barbiecore continue d’infuser la création contemporaine. Forme d’échappatoire à la noirceur du monde et de ses actualités anxiogènes, l’esprit ultra-pop et assurément kitsch qui caractérise cette atmosphère plastique réemploie les codes visuels de l’iconique poupée.
BARBIE WORLD
Sans détour possible, le rose est la couleur qui se rapporte à Barbie et qui s’est imprimée dans la conscience collective. Popularisée comme tel dans les années 1970 à travers les emballages du célèbre jouet, la couleur possède même sa propre nuance officielle : le Barbie Pink (Pantone 19C) que Laurie Pressman, vice-présidente du Pantone Color Institute, définissait en août dernier comme assurant le rôle de “dynamiser et inspirer confiance, courage, vigueur et énergie, tout ce qu’il nous faut dans un monde post-pandémie. Aujourd’hui, nous cherchons avant tout à nous évader, et quoi de mieux pour ce faire qu’un univers coloré, ludique et régressif. La couleur peut être un langage qui exprime l’instant présent : le rose énergisant vient ici s’associer à l’emblématique Barbie, nous incitant à agir sans peur et avec audace, saisissant toutes les opportunités qui se présentent.”
Irremplaçable, ce rose rabattu et légèrement violacé qui infuse le film de Greta Gerwig sorti en 2023 fait ricochet dans la mode. La maison Valentino, pour sa collection automne/hiver 2022, a fait défiler des silhouettes monochromes parées d’un total look barbiecore en multipliant les matières, les volumes et les textures (matelassées pour les sacs, glossy pour les chaussures, aériennes pour les vêtements). Chanel, quant à elle, a révélé dans sa collection Croisière 2023-2024 inspirée du “Californian way of life” des accessoires paraissant tirés du film, dont un sac rose recouvert de sequins, de fils dorés et d’empiècements pop qui rappellent les panoplies habituelles de Barbie (milkshakes, rollers, palmiers). Chez la marque espagnole Bimba Y Lola, on retrouve un étui pour Airpods en fausse fourrure fuschia, doté d’une chaîne en métal ionisé, et notamment orné d’un “B” transparent — logo de la marque et clin d’œil évident à l’initiale de la poupée dans ce contexte.
L’univers de Barbie est tout autant suggéré dans des nuances plus claires chez LOEWE qui, adoptant un parti pris moins kitsch mais tout aussi parland, privilégie l’aspect plastique et la référence au jouet. Ses lunettes de soleil oeil-de-chat Inflated semblent être extraites d’un monde miniature puis adaptées à échelle humaine tandis que ses escarpins Toy bénéficient d’un talon rose et d’une surface recouverte de confettis, soulignant l’atmosphère festive et “anti bad mood”. Mais côté chaussures, Louis Vuitton va encore plus loin en proposant ses bottes Illusion : mimant des mollets aux orteils le corps d’une poupée enfantine, la paire suffit d’être enfilée pour que son porteur pénètre physiquement dans un “barbie world” de luxe.
PINK PUNK
Et si, finalement, derrière les paillettes et la douce régression que fédère cette atmosphère rose bonbon, Barbie était punk ? “Le rose n’est pas uniquement célèbre pour son esthétique ; il est aussi associé à l’activisme féministe et à la méfiance envers certains stéréotypes”, précise le Pantone Color Institute. Instrumentalisée au service d’un esprit contestataire, la référence au monde barbiesque s’immisce aussi dans des détournements et des révisions de cet univers calme et apaisant, en troublant la quiétude véhiculée par les couleurs et les symboles ludiques. La marque de bijoux Roussey, spécialisée en impression 3D à partir de matériaux biosourcés, lançait en 2022 sa deuxième collection aux formes de cœurs et de nœuds XXL, en y inscrivant de nombreux strass comme substituts aux clous ponctuant les looks urbains, rock et punk. Dans la même veine, un langage visuel non conventionnel s’exprimait déjà en 2018 dans une campagne de publicité pour Patricia Blanchet réalisée par Studio Furious, où le talon d’une bottine explosait un cadre dans lequel figurait un visage de Ken, sur fonds de moquette rose, marquant ainsi l’esprit rebelle et libéré du féminin.
Dans une voie plus pop, la photographe américaine Vanessa McKeown — qui signe la couverture du neuvième numéro de The Steidz — use des codes iconographiques de Barbie pour créer un univers surréaliste et loufoque, à l’appui d’accessoires empruntés à la poupée. “Je pense avoir toujours été fascinée par ce monde composé de Barbies, à quoi elles ressemblent, à leur look idéalisé. […] Je pense que mon travail s’inscrit dans un style Pop art, j’aime les couleurs vives et les lignes graphiques. Ce qui le rend différent, ce sont les idées qui ne font pas les plus belles compositions mais qui s’assurent de se démarquer. Cela peut être parfois restrictif, j’aimerais pouvoir créer des natures mortes très léchées, mais cela ne fonctionne pas chez moi, j’ai besoin d’une forme d’idiotie”, déclare-t-elle. Sa série Hair Spaghetti (2018) s’immerge dans ce leitmotiv, où l’artiste natte ou peigne littéralement un plat de pâtes qu’elle photographie ensuite, témoignant d’un acte irraisonné, loufoque, improbable, à l’encontre de la réalité.
LIFE IS PLASTIC
Par ses nombreuses extrapolation dans la mode, les médias et la publicité, Barbie et son univers extra-ordinaire sont devenus une référence esthétique à part entière. Indissociable de ses nombreux accessoires qui pullulent dans ses panoplies, elle éclaire, d’abord en tant que jouet, un mode de vie utopique dans lequel l’humain se projette. Dans son monde, Barbie est entourée d’objets, elle collectionne autant les vêtements que les bibelots du foyer parfait, de l’art de la table à la décoration, devenant ainsi un catalyseur d’histoires où tout est possible à partir de référents empruntés au réel. Avec sa corbeille à fruits Demi Phallus, le designer Axel Chay renverse la naïveté des fictions enfantines en faisant état d’un élément à la forme manifeste, gommant toute trace de féminité et affirmant a contrario le pouvoir symbolique de l’anatomie masculine.
S’il est pourtant en acier laqué, le moulage de cet objet rappelle l’aspect ludique du jouet, par sa couleur, et par sa référence à la malléabilité du plastique, matière suprême du royaume de Barbie. De la même manière, l’artiste américain Greg Bogin a collaboré avec la marque de design nordique Normann Copenhagen pour une collection de miroirs dont le contour partiel en aluminium peint (en bleu, violet ou rose) pourrait aisément trouver sa place dans un habitat miniature. De son côté, l’architecte intérieur et designer Eduard Eremchuk s’est fait remarqué dans le retail par la mise en espace du showroom russe de Like Shop, en 2018, qui focalise l’attention sur une pièce centrale habillée de fausse fourrure rose et des couleurs environnantes tout autant flashy. •