C’est un dialogue délicat que la galerie Valeria Cetraro met en scène en rassemblant les œuvres de Julie Béasse et Margot Pietri, sous le mystérieux titre « Chroniques du temps mauve ». Des dessins minutieux de l’une aux sculptures-assemblages de l’autre, l’œil navigue sans heurt, en pointant la familiarité de ces deux pratiques bien différentes.
D’une part, les dessins aux pastels et aux crayons de couleur de Julie Béasse (née en 1995), quasiment monochromes, violets ou noirs, images de pérégrinations urbaines, cueillette de moments fugaces. Pour les réaliser, la jeune artiste commence par couvrir le papier de pastel, dans sa nuance la plus intense, comme pour aveugler la page blanche, la saturer de nuit. Puis le dessin se dégage à l’envers, par soustraction : gommer, révéler les contours, faire entrer la lumière, remettre du détail comme on ferait le point avec un objectif. Les formes sont simplifiées, réduites à l’essentiel, soumises à l’arbitrage de l’artiste qui tranche entre plus ou moins de réalité, plus ou moins de fantaisie. Jusqu’au point final, apposé concrètement sur l’image au terme du processus et qui semble un corps étranger à la composition, un feu-follet vibrant, pareil à ces serpentins verts, oranges, bleus, jaunes, qui clignotent au revers de nos paupières fermées.
En regard, les sculptures et les tableaux-objets de Margot Pietri (née en 1990), assemblages drôles et bruts de fragments de matériaux et d’images saisies dans la résine, rejouent à leur manière ce même attrait pour les formes architecturales et les détails anodins. Seulement, ici, le procédé est inversé et c’est en archéologue qu’il nous faut démêler l’intrigue, l’excaver presque. Couche après couche, déformation après déformation, la narration de départ s’opacifie tant qu’elle ne nous laisse plus que quelques indices : la forme vague d’une grille, la silhouette d’une cuillère, le dessin à moitié perdu d’un pied ou d’une main. Les titres, eux, évoquent le sommeil et le repos, l’argent, le temps, que l’on gagne, que l’on perd, la course folle du monde qui nous éreinte et nous piège. Triomphe de la fatigue, portrait de l’homme moderne en insomniaque.
D’échos fortuits en purs moments de contemplation, on divague ainsi entre chien et loup dans cette exposition pleine de spleen et de poésie, qui offre au visiteur une pause bienvenue au milieu de l’agitation ambiante. •
Exposition “Chroniques du temps mauve”
Jusqu’au 15 juin 2024 at Galerie Valeria Cetraro
16, rue Caffarelli – 75003 Paris
galerievaleriacetraro.com