“Enigma” : le freak mélancolique de Théo Viardin à la galerie PACT

Pour sa première exposition à Paris, Théo Viardin (né en 1992) investit les murs de la galerie PACT et dévoile une variation sur le thème du Sphinx. En six grands formats, le jeune peintre déploie son univers peuplé de mutants humanoïdes, portant à notre attention la question de l’altérité et du devenir humain.

Que sont ces créatures, appesanties d’humeurs maussades, cousines des silhouettes disloquées de Picasso, des colosses androgynes de Michel-Ange, des cruautés difformes de Bacon ? De quel Tartare sont-elles donc remontées, ces chimères désolées, dont les étreintes dolentes caressent des épaules basses ? L’œuvre de Théo Viardin est résolument queer, au sens premier et ouvert du terme. Elle fraye dans les eaux troubles de l’anormal et du bizarre. Du monstrueux aussi. Mais qu’est-ce que cela veut dire ?

Si le « monstrum » latin renvoie aux événements extraordinaires, aux signes visibles d’une volonté des dieux, le « monstre » moderne, lui, distingue les êtres dont l’apparence ou le comportement s’écartent de la norme. Il y a des monstres de l’imagination et des monstres de la nature, mais qu’ils soient du côté du prodige ou du « freak », ils sont toujours ce qui résiste à la compréhension et ce qui s’oppose à la règle. C’est dans l’altération que se forge leur altérité. Pour le dire autrement, ils sont le défectueux plus que le différent. Voilà sans doute ce qui fascine et effraie le plus, cette familiarité, cette presque-humanité qui vient défier l’ordre attendu des choses.

Les titres de ses œuvres l’indiquent sans équivoque, la créature que Théo Viardin dépeint, c’est le Sphinx, celui que croise Œdipe et qui porte l’énigme. À la question qu’il pose, il faut reconnaître l’homme. Mais quel homme ? Qu’a-t-on de si différent de la bête informe, avec nos quatre jambes le matin, puis deux l’après-midi et trois le soir ? Il y a bien du monstre dans l’humain et c’est cela qu’Œdipe doit apprendre. Mais saura-t-il se reconnaître ? Quelque chose est là, suspendu, une vérité qui ne parvient pas tout à fait à prendre forme, ni à percer le silence. En attendant, le Sphinx reste muet.

« Je m’adresse à vous en tant que singe humain d’une nouvelle ère. » Dans son discours devant l’École de la Cause Freudienne de France (« Je suis un monstre qui vous parle », 2020, Grasset) le philosophe queer et trans Paul B. Preciado fait du monstre encagé la métaphore pour exprimer la lutte contre les oppressions, la marginalisation et le contrôle des corps « mutants », c’est-à-dire de genre non binaire. Selon lui, si le monstre ne parle jamais, c’est parce qu’on lui en refuse le droit, que l’on parle à sa place. D’une sensibilité troublante et dure, ce texte résonne étrangement avec cette galerie de Sphynx mutiques, dont les corps non-conformes, mutants eux-aussi, nous apparaissent moins effrayants que vulnérables, et en un sens, porteurs d’espoir. Ne sont-ils pas la vision d’un devenir qui accueillerait enfin l’altérité, plutôt que de la réprimer ? S’il y a du monstre dans l’humain, Théo Viardin nous montre surtout combien il y a de l’humain dans le monstre. Lui aussi aime, lui aussi pleure. Nous parlions d’épaules basses : si nous les consolions ? 


Exposition “Enigma” by Théo Viardin
Jusqu’au 27 juillet 2024 at Galerie PACT
70, rue des Gravilliers – 75003 Paris
galeriepact.com


Vue de l’exposition “Enigma” de Théo Viardin, galerie PACT, 2024. Courtesy de l’artiste et de la galerie PACT. Photo : Nicolas Brasseur.

Vue de l’exposition “Enigma” de Théo Viardin, galerie PACT, 2024. Courtesy de l’artiste et de la galerie PACT. Photo : Nicolas Brasseur.

Vue de l’exposition “Enigma” de Théo Viardin, galerie PACT, 2024. Courtesy de l’artiste et de la galerie PACT. Photo : Nicolas Brasseur.

Vue de l’exposition “Enigma” de Théo Viardin, galerie PACT, 2024. Courtesy de l’artiste et de la galerie PACT. Photo : Nicolas Brasseur.

Théo Viardin, Study for a sphinge I, 2024, huile sur toile, 100 x 81 cm. Courtesy de l’artiste et de la galerie PACT.

Théo Viardin, Oedipus and the sphinx I, 2024, huile sur toile, 178 x 116 cm et 116 x 89 cm. Courtesy de l’artiste et de la galerie PACT.

Théo Viardin, Study for a Blazing, 2024, huile sur toile, 205 x 170 cm. Courtesy de l’artiste et de la galerie PACT.

Théo Viardin, Victorious oedipus, 2024, huile sur toile, 212 x 116 cm, 81 x 116 cm et 50 x 116 cm. Courtesy de l’artiste et de la galerie PACT.

Théo Viardin, Study for a sphinge III, 2024, huile sur toile, 81 x 116 cm. Courtesy de l’artiste et de la galerie PACT.

“Enigma” : le freak mélancolique de Théo Viardin à la galerie PACT