De la chambre aux réseaux sociaux, l’intime fait l’objet d’une nouvelle exposition thématique au musée des Arts décoratifs, à Paris. À l’appui d’un généreux corpus d’œuvres, de photographies et d’objets de design, le parcours interroge le rapport à l’espace privé, à l’heure d’un monde soumis à la surveillance.
Comment l’intimité a-t-elle évolué depuis le 18e siècle ? Comment les peintres, les photographes et les designers ont-ils saisi l’espace personnel à travers leurs créations ? De quelle manière les objets interagissent-ils avec la sphère privée ? Autant de questions dont s’empare le musée des Arts décoratifs à l’occasion de sa nouvelle exposition “L’intime, de la chambre aux réseaux sociaux”. Le parcours, qui traverse douze thématiques, investit la nef du musée et ses galeries latérales pour explorer le rapport à soi par le prisme du regard — autoporté ou extérieur —, de l’objet ou encore de l’espace. Ainsi, en s’appuyant sur l’évolution des mœurs sociales, il multiplie les perspectives historiques avec une résonance contemporaine, à l’image de la question de l’émancipation de la femme, d’abord captée comme sujet domestique par le regard de peintres majoritairement masculins tels qu’Édouard Vuillard (1868-1940), jusqu’à une représentation LGBTQIA+, saisie dans les photographies de la Sud-Africaine queer Zanele Muholi (née en 1972).
La question de l’espace de vie où se forge l’intime est également passée à la loupe avec des sections dédiées à la chambre à coucher — terme apparu au 18e siècle — qui a favorisé les imaginaires, tant dans l’art que dans la littérature, mais aussi aux lieux de toilette comme la salle de bains, endroit-clé de la construction d’une apparence à l’abri des regards extérieurs. À l’appui de mobilier et d’articles de maquillage ou de beauté, l’exposition permet de saisir le self-care tel qu’envisagé par les femmes jusque dans les années 1960 tout en soulignant l’uniformisation dominante de l’époque. Se pose alors la question du “soi” en regard de l’”autre” : exemple phare à l’étude, le parfum a contribué à l’individualisation intime, tant comme marqueur de personnalité qu’outil de séduction.
En écho à cette approche, le désir, indéniablement lié au partage de l’intimité, prend place dans des créations issues d’une pluralité de domaines. Désir d’isolement ou de promiscuité, chaque penchant est traduit par des pièces iconiques dans l’histoire du design : alors que la Womb Chair d’Eero Saarinen (1910-1961) laisse percevoir le repli protecteur des années 1950-1960, des meubles hybrides comme ceux de Superstudio témoignent des souhaits de partage collectifs dans les années 1960-1970. Les concordances entre intime et sexualité se dévoilent également dans l’exposition qui envisage la diversité des sexualités et la fluidité des genres, dont les représentations se sont révélées dès le 20e siècle, sous l’impulsion d’artistes comme Nan Goldin et David Hockney, et de designers comme matali crasset et Tom Dixon. Du vibromasseur au sex-toy, du Minitel rose au lit connecté d’Hella Jongerius, l’intime contemporain est aussi soumise aux nouvelles technologies : en évoquant la visibilité permise par les réseaux sociaux et de surveillance, l’exposition interroge la notion d’espace et d’acte privé, invitant plus que jamais le visiteur à questionner son regard. •
Exposition “L’intime. De la chambre aux réseaux sociaux”
Jusqu’au 30 mars 2025 at Musée des Arts décoratifs
107, rue de Rivoli – 75001 Paris
madparis.fr