Pour sa nouvelle exposition à la galerie Papillon, Mehdi-Georges Lahlou revisite la fable persane de La Conférence des oiseaux. Mêlant sculptures, photographies et vidéos autour du motif du palmier, il continue d’explorer les phénomènes de migrations et de métissages culturels. Dans un style bien à lui, aussi poétique que décalé.
Mehdi-Georges, est-il possible qu’un prénom exprime davantage tout ce qu’une identité peut contenir de métissage ? De l’Europe, où il est né et vit, à l’Afrique du Nord, dont est originaire sa famille, l’artiste franco-marocain explore depuis plusieurs années la richesse des influences qui circulent entre ces différentes cultures. Convoquant simultanément l’iconographie chrétienne et vernaculaire, le conte philosophique et le travail d’archives, il met en scène les clivages et fait se confronter les formes par le biais du détournement et de l’hybridation. De nature (ré)conciliante, ses assemblages assument une certaine familiarité, une impression de déjà-vu, qui nous tient attentifs. Cela pour mieux nous adresser les récits recousus de ces déplacements millénaires. Les oiseaux se soucient peu des frontières. L’œuvre de Mehdi-Georges Lahlou aussi.
Pour sa nouvelle exposition – la première avec la galerie Papillon –, il présente un corpus allant de 2022 à des œuvres plus récentes, inédites pour certaines. Afin de les rassembler, il revisite notamment la fable persane de La Conférence des Oiseaux, composée au XIIe siècle par le poète soufi Farid al-Din Attar. Ce conte symbolique narre l’histoire d’un groupe d’oiseaux pèlerins partis à la recherche de leur roi. Dans la version de Lahlou, point de volatiles, mais des palmiers, réalisés en faïence sombre et réunis en un étrange conciliabule au centre de la galerie (La conférence des palmiers, 2023). Comptant parmi les plantes les plus anciennes que l’on connaisse, eux aussi migrent, à travers le temps et les continents. Déplacés, acclimatés, exploités, leur histoire porte les traces que l’être humain imprime depuis toujours sur son environnement. D’ailleurs, ne nous ressemblent-il pas, avec leurs longs corps dressés vers le ciel et leur coiffe en panache ? C’est en tout cas la piste que suit l’artiste dans l’une de ses vidéos, où l’on écoute une femme raconter à la première personne l’histoire de l’un de ces palmiers (A Botanical Conversation, 2024). Ailleurs, le détournement est plus amusé, comme avec ce chapelet géant en noix de coco qui évoque la circulation des croyances et les phénomènes de syncrétisme. Il peut être également plus sombre, comme dans la série de photographies d’archives, retravaillées à la cendre de palmiers morts (Nature morte, 2024).
Sculptures, photographies, vidéos, tapisseries, Mehdi-Georges Lahlou n’aime pas se laisser enfermer dans un médium. Les sujets qu’il aborde s’incarnent en de multiples formes. Et s’ils peuvent tour à tour faire l’objet d’une réflexion critique ou donner naissance à des images plus mystérieusement poétiques, l’artiste les appréhende toujours avec une grande sensorialité. L’attention qu’il porte aux textures, aux nuances, aux matières, dit tout de cette méthode intuitive qui le guide et le conduit à distordre inlassablement le réel. Disons même à le manipuler, au sens concret de manier, façonner, modeler, comme au sens plus ambivalent de transformer la nature des choses, d’en infléchir le sens. Prenons, par exemple, ces panneaux de faïence noire et blanche, accrochés au mur et qui semblent à première vue un travail abstrait de motifs aléatoires. Son titre nous raconte autre chose : « Casablanca, 26 mars 2016 ». Pour réaliser cette série, Lahlou s’est emparé de l’image d’une agression homophobe ayant eu lieu dans cette ville, ce jour-là. Sérigraphiée sur la terre crue, elle s’est dissoute, altérée pendant la cuisson. Ce que l’on prenait pour une déclinaison purement picturale nous parle en vérité de violence, de la mémoire des injustices, de leur terrible répétition, mais aussi de l’anonymat qui, plus qu’un droit, demeurent malheureusement en certains lieux la seule garantie de protection, et que Mehdi-Georges Lahlou rend ici symboliquement aux victimes.
En contrepoint de ce geste d’effacement, la présence répétée du buste de l’artiste nous rappelle l’importance qu’il donne au corps, lui qui vient de la danse et de la performance. Attention cependant, si c’est bien lui le modèle, ce n’est pas lui le sujet. Au contraire, l’usage de son visage lui permet de se prémunir du caractère anecdotique de tout portrait. Qu’elle soit montée en totem (De la conférence des palmiers, totem dattier, 2024) ou détournée en homme-grenades (Of the grenadier, vert de gris, 2024), sa propre figure lui est neutre. C’est une matière facile à travailler, un élément visuel qui n’a rien d’égotique mais dit seulement le mot générique « homme » dans le rébus de son assemblage. La plupart de ses associations se départissent d’ailleurs de toute référence trop précise ou trop localisables. On y trouvera pêle-mêle l’écho des bustes antiques, des chimères surréalistes, des céramiques décoratives et pourquoi pas des empilements systématiques de l’art minimal. Il y a chez lui, nous le disions, cette qualité de renvoyer notre œil vers des corpus connus, puisés à diverses sources. Ce n’est pas de l’art marocain, ce n’est pas de l’art français, ni même de l’art global. C’est tout cela à la fois, le fruit d’un métissage, composé librement avec ce qui le traverse, ce qui le touche, ce qui l’inquiète. Par sa manière de raconter l’Histoire, de la remettre en scène, d’en tordre les perspectives pour dégager de nouvelles images, Mehdi-Georges Lahlou démontre comment l’intime touche à l’universel. Et surtout, comment la poésie peut, elle aussi, sans insister, parler d’écologie, de politique et d’engagement. •
Exposition “À l’ombre des palmiers” by Mehdi-Georges Lahlou
Jusqu’au 18 janvier 2025 at Galerie Papillon
13, rue Chapon – 75003 Paris
galeriepapillonparis.com