Reflet de mondes réels ou inventés, la photographie se déploie à travers ses multiples possibilités de cadrages. La 26e édition de Paris Photo, qui investit cette semaine le Grand Palais Éphémère, à Paris, réunit une palette formelle diversifiée qui se joue des points de vue du regardeur, entre mises à distance et étude par gros plans.
La réalité est-elle une illusion ? C’est dans les frontières de cette interrogation que se déploie un acte qui se joue de la multiplicité des possibles, des perceptions. Enclenché à partir de lumière, le dispositif photographique suspend un instant, à partir duquel naît une image. Cette dernière est souvent le fruit d’un processus, d’un effort de construction, à l’image de celui employé par le photographe hongrois Gyula Holics (1919-1989) qui n’hésite pas à doubler la réalité d’un monde miroir, en étirant les ombres des objets saisis. Se construit alors un cadre, une émotion ; on creuse un sujet, par un point de vue choisi qui attribue une sémantique frontale — ainsi résonne l’image d’Anastasia Samoylova (née en 1984) qui choisit de focaliser l’oeil sur les tatouages d’un homme — ou kaléidoscopique — tels que les fascinants triptyques de l’Allemande Barbara Probst (née en 1964) qui admet que « c’est la subjectivité du photographe qui détermine l’image, et non l’objectivité du monde ». En ce sens, la photographie se rapproche de l’architecture : c’est un acte partagé, dans et avec l’espace ; une vision revendiquée par la New-Yorkaise Erin O’Keefe (née en 1962) qui superpose des strates colorées et se dit « intéressée par la distorsion et le malentendu introduit par l’appareil qui traduit la forme et l’espace tridimensionnels en image bidimensionnelle ». Comme pour l’architecture, cet acte se focalise sur les lignes. L’image, bâtie à partir d’éléments concrets, peut alors basculer dans l’abstraction, créer l’illusion. Elle peut tromper l’oeil ou s’offrir comme support à la méditation. L’image vit pour elle-même, par ses formes et ses couleurs, ses vibrations. Mais à travers elle, son auteur peut aussi vouloir offrir l’expérience du réel, faire acte de documentation, créer une archive, fabriquer des souvenirs et surtout, transmettre une expérience de terrain. De fait, le médium peut aspirer à s’oublier lui-même. Quelles que soient ses spécifités techniques, l’appareillage photographique se fait le vecteur de ces différents points de vue. Il est l’élément matériel qui permet la transmission entre différents acteurs : le sujet, le photographe, le regardeur. C’est par ce trinôme qu’existe fondamentalement l’image. En ce sens, pour le photographe italien Franco Fontana (né en 1933), qui a contribué à la reconnaissance de la photo de paysage comme un art à part entière, « l’image est moins importante que le concept et la sensation qu’elle suscite. L’essentiel est de la communiquer, de la partager par n’importe quel moyen. » Quelle que soit la volonté de son créateur et la raison pour laquelle naît l’image, chaque regard posé sur elle est une nouvelle possibilité, une nouvelle vie pour celle-ci. Photographier devient finalement le basculement d’un objet, d’une pensée, d’une portion de soi, dans le monde social et dans une temporalité qui s’échappe. •
Paris Photo 2023
Du 9 au 12 novembre 2023 at Grand Palais Éphémère
2, place Joffre – 75007 Paris
parisphoto.com