Pour sa première exposition personnelle à Paris, Benoît Piéron (né en 1983) convoque ses thèmes de prédilection : l’imagerie médicale se confond à une inspiration enfantine, métamorphosant ainsi l’espace de la galerie Sultana en salle d’attente surréaliste.
Cairn. Nom masculin. Désigne un monticule artificiel de pierres placé à dessein pour baliser un sentier, marquer un passage ou l’emplacement d’une sépulture. Ici, une pile de linge oubliée dans une salle d’attente.
Pour sa première exposition personnelle à la galerie Sultana, Benoît Piéron continue de déployer son univers fantasque, détournant les objets du milieu médical pour composer d’étranges récits alternatifs, où la poésie le dispute à la tendresse. Entre ses mains, les gyrophares des ambulances deviennent des lampes montées sur porte-sérum ou des veilleuses tamisées de carrés de soie, tandis que les draps réformés des hôpitaux, avec leurs douces nuances pastel, servent à créer des têtes de lit grand style et des sous-vêtements de fête. Ailleurs, sur une table basse, trônent des boules à neige. Dans une étagère, quelques livres et des objets rapportés de l’atelier. Et puis, il y a ce monstre, avec ses yeux de porcelaine exorbités, ce cairn grotesque qu’on dirait sorti d’un conte ou d’un rêve.
« Poudre de riz », titre choisi de l’exposition, entrouvre ainsi une porte sur un monde méconnu, celui des corps alités, du « peuple des pyjamas », comme l’artiste se plaît à l’appeler. Terra incognita pour les valides, mais que Benoît Piéron connaît bien pour y avoir passé une grande partie de son enfance. La maladie ne cesse en effet de l’accompagner depuis sa naissance, au point qu’elle semble être devenue camarade, dont il se serait donné la charge paradoxale de prendre soin, s’amusant à la travestir pour mieux l’apprivoiser. Dans une interview récente, l’artiste expliquait à ce sujet : « dans le service hospitalier où j’étais, on avait besoin de monstrer (sic) la maladie, c’est-à-dire de lui donner une apparence qui permette de la regarder en face, sans en avoir peur. » Voilà donc à quoi servent, et le cairn et Monik, cet autre doudou en forme de chauve-souris fait de patchwork de draps usagés et devenu au fil du temps sa signature : donner forme acceptable à ce qui nous menace, désamorcer la peur.
Selon certaines légendes, les cairns placés sur les tombes empêchaient le défunt de renaître. On l’aura compris, l’idée de la mort n’est jamais loin dans le travail de Benoît Piéron. Une mort bleu ciel, rose poudrée, vert Charcot, que l’artiste orne de pulsions de vie, d’envies de romance et de perspectives nouvelles ; une idée qu’il nous faut apprendre, à notre tour, à regarder en face. Alors, un cairn, pour quoi faire ? Peut-être simplement nous inciter à rester, prendre place et se glisser dans l’attente, aborder, même de biais, ce monde qu’on préfère tenir à distance. Benoît Piéron est un passeur qui ne fait qu’ouvrir le chemin. Il nous revient d’accepter de l’emprunter. •
Exposition “Poudre de riz” by Benoît Piéron
Jusqu’au 20 avril 2024 at Galerie Sultana
75, rue Beaubourg – 75003 Paris
galeriesultana.com