Présenté à Drawing Now par la galerie Isabelle Gounod, l’artiste français Lenny Rébéré manipule le portrait en multipliant les techniques. Ses visages troubles, animés par le concept d’extimité, interrogent tant l’individualité que son aspect sériel.
Derrière le flou qui traverse les portraits de Lenny Rébéré (né en 1994, Lyon) se reconnaissent des visages, masculins, féminins ou indéterminés. Ici, les cadrages sont aléatoires, tout comme le format des œuvres. Cette galerie d’anonymes compose un cycle intitulé “Extimit”. Celui-ci renvoie au terme lacanien d'”extimité” qui, par opposition à l’intimité, constitue l’exposition volontaire de soi aux yeux d’autrui pour se sentir exister. “Je mets souvent en parallèle l’extimité et le rituel des réseaux sociaux – à ne pas confondre avec l’exhibitionnisme. L’adoption d’un titre raccourci ‘Extimit’ résonne davantage comme une dénomination, un prénom donné à des individus, qui reflète une sorte d’ambiguïté, pour ne pas dire de cynisme, en clin d’œil à l’origine de ces portraits trouvés ou d’une certaine manière volés”, précise l’artiste.
Glanés par l’artiste à l’appui de différentes sources iconographiques, ces portraits d’anonymes proviennent autant de caméras de surveillance de rue, de captures de Google Street View que de recadrages de scènes vidéo urbaines et de clichés personnels. Déjà flous pour certains lorsque Lenny Rébéré s’en est saisi, ces visages déshumanisés par un recadrage extrême et pixellisé prolongent cette tension esthétique par le geste de l’artiste. Celui-ci, désireux de présenter une foule d’anonymes, aux temporalités et aux origines différentes, a fait le choix de travailler certains verres d’encadrement de ses dessins par l’action du sablage. Il indique : “On projette un abrasif sous haute pression sur le verre pour le dépolir, sous la forme d’un aplat ou d’un dessin, avant d’encrer la zone attaquée. Cela devient visible à travers un dessin enfantin, naïf, proche du graffiti. Il s’agit d’un geste sans repentir possible, comme pour ramener une personnification à ces portraits déshumanisés tout en offrant au regardeur un élément perturbateur qui peut l’amener à s’interroger sur le choix du portrait remanipulé”.
Tant par l’action improvisée par-dessus le dessin et sur le verre du cadre, Lenny Rébéré laisse une trace personnelle qui contamine l’anonyme. Le concept d’extimité prend ainsi tout son sens : de cette manière, “exister à travers les yeux des autres” prend un sens tout autant futile qu’imposé. D’autant que l’artiste aime souffler qu’il se trouve, dans cette série, un autoportrait caché, histoire de planter le clou. •
Lenny Rébéré
lennyrebere.com