Par Laëtitia Toulout
PHOTO // Le festival Circulations célèbre ses dix ans au Centquatre à Paris en mettant à l’honneur une sélection de photographes émergents, tous issus de pays européens. Du collage au détournement, du portrait à la nature morte, l’exposition propose une invitation à la découverte, notamment à travers un focus sur la Biélorussie.
Jeroen De Wandel (né en 1980, Belgique)
L’amygdale, zone du cerveau en forme d’amande, est le noyau qui participe aux fonctionnements de nos peurs et de nos angoisses, qui déclenche les émotions d’après tel ou tel souvenir. C’est ce mécanisme de la mémoire et de l’anxiété, phénomène complexe et scientifiquement teinté de mystère, que Jeroen De Wandel traite de manière plastique et poétique, avec les moyens de la photographie numérique comme analogique, d’images prises ou trouvées puis raccordées. Au fil des détails, superpositions, collages, plis et images, se tisse une histoire ; celle que l’on voudra bien se raconter dans ces fragments rassemblés, suite d’une pluralité de songes proposés. Le sujet initial se délite, laissant un terrain vierge et propice à nos propres projections.
Ville Kumpulainen (né en 1988, Finlande)
Des visages cachés, retournés, toujours invisibles. Les silhouettes sont des ombres qui apparaissent depuis un papier noir et blanc, saturé, ou bien du vide. Les mains se serrent. Les ombres se rapprochent. Si Ville Kumpulainen varie les traitements photographiques — lumière diffuse, surface poinçonnée punaisée ou découpée —, le résultat converge vers un effacement presque systématique du sujet. On navigue entre des scènes qui pourraient être basiques, comme celles, répétées, que l’on peut croiser dans tous les albums photos de famille. Mais ici, flotte le fantôme des souvenirs de l’artiste, qui agit matériellement sur son passé, se saisit des traces et des outils pour rejouer et façonner ses souvenirs.
Masha Svyatogor (née en 1989, Biélorussie)
Avec Everybody Dance!, Masha Svyatogor tourne à l’absurde des images de propagande tirées de magazines de l’URSS : sous une explosion de confettis, c’est toute une société qui est détournée. Les incohérences initiales des images sont renforcées avec joie et minutie par la photographe. En découpant, assemblant et recollant, elle crée des scènes inédites, souvent oniriques et déjantées, qui soulignent et exacerbèrent l’hypocrisie de l’imagerie soviétique. Au final, cette série est comme un grand rire — discrètement grinçant...
Joan Alvado (né en 1979, Espagne)
Dans la nature immense et froide, des âmes errantes, solitaires, apparaissent de manière furtive ou discrète à l’image, dans la brume ou la nuit, la plaine et l’oubli. Chaque présence est surprenante et inattendue ; on frôle une terre vide de toute humanité. Le monde urbain parait bien loin, presque anéanti. La série, intitulée The Last Man on Earth, est une parenthèse dans notre ère surpeuplée, un focus sur une région qui se vide de ses habitants. Ceux qui restent paraissent survivre, esseulés, tandis que le sauvage, sublimé, reprend lentement ses droits.
Niina Vatanen (née en 1977, Finlande)
Le travail photographique de Niina Vatanen fonctionne comme une installation plastique qui prend place dans l’espace et le temps. Les lignes et diagonales qui construisent l’image et dirigent le regard sont en effet littéralement figurées par un objet — coton-tige, balai, fil tiré… Et côtoient eux-mêmes d’autres images d’hier et d’aujourd’hui, d’ici ou d’ailleurs. Intitulé Time Atlas, son projet encyclopédique, loin d’être rationnel, joue sur la corde du sensible, fruit des jeux des connexions et du hasard.
Festival Circulation(s) 2020
Du 14 mars au 10 mai 2020 at Centquatre
5 rue Curial 75019 Paris
www.festival-circulations.com