Par Laëtitia Toulout
FOCUS // Camille Henrot propose jusqu’au 18 septembre et avec la collaboration de Jacob Bromberg une double installation (Office of unreplied mails et 11 animals that mate 4 life) à la KW Institute. Cette exposition s’inscrit dans la 9ème Biennale de Berlin, curatée par le collectif DIS (Lauren Boyle, Solomon Chase, Marco Roso et David Toro) et intitulée The Present is drag.
Les maux du monde, qu’ils soient écologiques ou humanistes, concernent tout un chacun, et la société occidentale n’oublie pas de rappeler au citoyen que ses plus petites actions sont essentielles dans l’éventualité d’un effet papillon, où le micro-geste se transformerait idéalement en macro-sauvetage. Touché par ce qui nous tient à cœur, nous avons tous été amenés à soutenir des actions et associations, par le don ou la pétition. C’est justement d’épistolaires suites à ces actions qu’il s’agit ici.
Le signataire ou donateur ne manquera pas en effet de recevoir, suite à son geste, une flopée de mails des associations en question, parmi le flot quotidien des spams. Camille Henrot marque l’originalité de répondre à ces mails envoyés à foule d’adresses. Se faisant, elle bascule une norme habituelle du digital : on ne répond pas aux spams, lettres d’informations, publicités ou tout autre message très visiblement destiné à une masse informe et de quantité.
Camille Henrot met de côté ces règles pourtant bien intériorisées : elle rédige des réponses soignées et calligraphiées, qu’elle imprime et présente à même le sol. Hors-contexte on pourrait les croire destinées à un ami, un proche. Ces lettres envoyées dans le vide laissent par ailleurs entrevoir une personne sensible et véritablement préoccupée à la fois par la cause dont il est question et par le ton de son invisible interlocuteur.
Ce sentimentalisme entre en écho avec les peintures à la gouache de couples d’animaux, inspirées d’un diaporama éponyme à l’œuvre : 11 animals that mate 4 life. Ces images ont été publiées sur « mother nature network » à l’occasion de la Saint-Valentin, et signifient le besoin de personnification de la nature par l’homme, qu’il utilise pour mieux se trouver et se comprendre lui-même.
Le paradoxe contemporain (thème général de cette 9e édition de la Biennale de Berlin) mis ici en exergue est celui de la responsabilité de l’individu et de l’écho de sa personnalité face à des questions et des problèmes de monde et de société. L’individu participe de manière solitaire à une action relevant du global. Il est sollicité, de manière allant de la sympathie à une relative violence, à agir, donner encore plus. Tout se fait cependant dans la sphère de son intimité : sa boîte mail, son écran d’ordinateur (qu’il consulte peut être de chez lui). Les messages sont nombreux, directs et incisifs, parfois-même sur le ton de l’ordre…
Le sens se perd dans des injonctions anonymes qui invitent à donner, tout en ne pouvant recevoir au-delà de ce qu’elles demandent. Cet au-delà du don ou de la signature révèle du contact social, de l’échange, ou même de la plus minime communication. C’est une véritable tentative relationnelle qui émerge de ces unreplied emails. La finesse calligraphique des variations typographiques et les pâles couleurs des peintures à l’eau donnent à l’œuvre— et à l’homme moderne dans son entité toute entière — un global sentiment d’ignorance et de fragilité : sa solitude résonne. //
Exposition Office of Unreplied Emails de Camille Henrot
Jusqu’au 18 septembre 2016 at 9e Biennale d’Art Contemporain de Berlin
www.bb9.berlinbiennale.de