Les passés recomposés d’Edouard Taufenbach

Par Henri Guette

EXPOSITION // Poursuivant son travail plastique autour de la photographie vernaculaire, d’aucuns parleraient de photographie amateur, Edouard Taufenbach expose aujourd’hui Spéculaire à la Galerie Binome. Une série pour laquelle il a, après les albums de famille, puisé dans la collection de Sébas­tien Lifshitz.

Les photos que sélectionne Edouard Taufenbach sont toutes marquées du sceau de l’intime. Il ne nie pas l’intérêt esthétique de certaines d’entre elles, mais se montre plus sensible à ce qu’elle représente en tant qu’objet et souvenir. Le fonds qu’a constitué Sébastien Lifshitz, réalisateur notamment des Invisibles (2012), a été exposé à plusieurs reprises notamment pour ce qu’il montrait de l’homosexualité et du travestissement hors d’une histoire officielle. Loin de se réduire aux archives d’une communauté, ces clichés évoquent aussi des moments de vie, des plaisirs quotidiens, des corps en liberté que l’artiste vient dédoubler, multiplier, étendre jusqu’à donner l’impression de suspendre le temps. Par le découpage, le collage, la photographie se compose un nouveau visage qui cherche à renouveler notre rapport à l’image.

Edouard Taufenbach a les outils du chirurgien — scalpel, précision et soin — et des méthodes de sémiologue. À partir d’un détail qu’il isole puis agrandit, il propose une lecture plus attentive. Ce n’est pas juste une scène de bord de mer, un garçon en maillot de bain qui joue avec son bateau. Le mouvement perpétuel des vagues ramène sans cesse le jouet et fige l’adolescent dans une tension constante entre la mer et le ciel. Son corps entre l’enfance et l’âge adulte devient objet de fascination ; il grimace. Chaque photo en noir et blanc fait l’objet d’un traitement spécial, soit que le cadre se calque sur les formes d’un personnages, soit que le montage diffracte les éléments d’une scène de manière à les mettre en valeur. Le travail tourne à l’optique, abandonnant la couleur avec laquelle il marquait ses précédents travaux. L’artiste joue du kaléidoscope comme d’un prisme révélateur.

Les titres astucieux des photographies donnent des pistes, élaborent le récit d’un hédonisme de bord de mer. En entrecoupant les personnages, en intercalant les vues, Edouard Taufenbach accentue l’érotisme de certaines situations. L’image fragmentée prolonge le regard, provoque une pulsion scopique. Les scènes de sexe sont ainsi traitées de manière fétichiste ; elles traduisent une mécanique du désir qui passe par la fragmentation du corps. Il n’est pas impossible de voir dans cette façon de travailler la mémoire une dimension psychanalytique. La série isole certains personnages dans une mélancolie estivale, montre des groupes batifolant sur la plage et comprend des scènes d’amours. Autant de témoignages fragiles, de célébrations insouciantes que l’artiste fait sortir d’un cadre anonyme ; la photo n’immortalise pas, elle rend présent. //


Exposition Spéculaire by Edouard Taufenbach
Jusqu’au 5 mai 2018 at Galerie Binome
19 rue Charlemagne 75004 Paris
www.galeriebinome.com


Edouard Taufenbach, Lulu, série Spéculaire, 2018, courtesy Galerie Binome

Edouard Taufenbach, Le Costume de bain, série Spéculaire, 2018, courtesy Galerie Binome

Edouard Taufenbach, Hommage à Pierre M., série Spéculaire, 2018, courtesy Galerie Binome

Edouard Taufenbach, Sans titre (lenticulaire), série Spéculaire, 2018, courtesy Galerie Binome

Edouard Taufenbach, Les vainqueurs, série Spéculaire, 2018, courtesy Galerie Binome

Edouard Taufenbach, Anonymes, série Spéculaire, 2018, courtesy Galerie Binome

Edouard Taufenbach, Les Garçons, série Spéculaire, 2018, courtesy Galerie Binome

Edouard Taufenbach, Charlus, série Spéculaire, 2018, courtesy Galerie Binome

Les passés recomposés d’Edouard Taufenbach
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