Par Guillaume Lasserre
EXPOSITION // À Paris, LE BAL consacre à l’artiste allemande Barbara Probst (née en 1964 à Munich, vit et travaille entre New York et Munich) sa première exposition personnelle en France. Sculpteuse devenue photographe, elle interroge dans ses Exposure l’instant photographique en le déconstruisant par la multiplication des points de vue d’un même événement.
Pour cela, elle installe plusieurs appareils autour de son sujet, à des distances différentes et les déclenche de manière simultanée afin d’obtenir plusieurs prises de vue d’une même action, d’un même geste, sous différents angles. Composée d’un minimum de deux images, chacune des œuvres de Barbara Probst fonctionne comme une série offrant une lecture plurielle, quelquefois contradictoire d’une même scène. Elle prend soin d’en réduire la narration en neutralisant au maximum ce qu’elle contient. L’intitulé même répond à une logique d’inventaire pour évacuer tout imaginaire possible : « Exposure » suivi d’un numéro, le nom du lieu de prise de vue, l’adresse, la date et l’heure. Avec son travail protocolaire, Barbara Probst atteste de la subjectivité des images en invitant le visiteur à tourner autour du sujet photographié comme on tourne autour d’une sculpture en ronde bosse. Cette promenade circulaire par images interposées, rendue possible par l’invention en 2000 de ses Exposure, est une expérience troublante, particulièrement lorsque l’on est confronté aux doubles portraits dans lesquels l’artiste semble s’amuser du regardeur, en produisant de saisissants jeux de regard.
Avec leur format imposant, leur composition complexe, les photographies de Probst incitent le regardeur à une enquête mentale afin de reconstituer un récit fragmenté par une série d’images représentant le même moment et en montrant pourtant une vision différente, comme autant d’histoires parallèles, de simples possibilités. Contrairement à la notion de spectre qui, chez Jacques Derrida hante le réel tout en le constituant, ces différentes virtualités contenues dans les photographies sont au même niveau. Il n’y a pas de hiérarchie entre elles : « Aucune image n’est plus importante ou plus vraie qu’une autre » précise-t-elle. C’est dans leurs interactions que le trouble se manifeste, en adoptant tour à tour les différents points de vues qu’elles offrent. Il n’y a pas de réel, ici tout est spectre. Ainsi, la photographie en tant que mémoire de ce qui a été, telle qu’elle est définie pendant une grande partie du XXe siècle, apparaît obsolète, n’existe pas. Plus encore, ce que nous dit Barbara Probst dépasse le simple cadre du medium. « Un appareil photo est semblable à un témoin oculaire et une photographie à son compte rendu. Les récits du même événement par différents témoins peuvent être étonnamment discordants. Comment définir, en vérité, la réalité d’un événement ? », s’interroge-t-elle. Dans la vie quotidienne, nous n’avons pas conscience de ce que notre vision est restreinte à un point de vue unique, le nôtre. Confrontés aux Exposure de Barbara Probst, nous réalisons alors que la véracité de la vérité se trouve dans sa pluralité. //
Les citations sont extraites de l’ouvrage publié à l’occasion de l’exposition : « Barbara Probst The moment in space », Hartmann books, Stuttgart, 2019.
Exposition The Moment in Space by Barbara Probst
Jusqu’au 25 août 2019 at LE BAL
6 impasse de la Défense 75018 Paris
le-bal.fr