À lecture multiple, la peinture de la jeune artiste jurassienne se rythme d’allers-retours entre l’Histoire et la contemporanéité. Décryptage de deux toiles inédites, passées sous filtre bleuté.
La peinture de Rose Barberat (née en 1994) a cela de troublant qu’elle balance entre l’autofiction et la mythologie. Résolument narrative, elle appelle moins à la contemplation qu’à la lecture, ou plutôt la relecture. Car si l’artiste s’empare du mythe, de l’Histoire et des images du quotidien, c’est d’abord pour les déconstruire, pour produire des récits alternatifs à ceux qui forgent nos sociétés et en orientent les modèles de pensée. Collision entre l’indicible et le réel, son œuvre approche une idée : penser ce qui peut être plutôt que ce qui est. Pour cela, elle ne figure ni utopie ni dystopie, mais des « lieux communs », des topiques partagés de tous. Ces lieux mêmes où se structurent les relations entre “soi” et “autrui” : des espaces intérieurs, qu’elle peuple d’humains et de créatures légendaires. Elle représente des personnages bien réels – ses proches, qu’elle photographie d’abord – et propose de relire les rapports sociaux qui se jouent entre eux. Tout, dans l’œuvre de Rose Barberat, tient de la mise en scène théâtrale des relations humaines.
L’artiste française convoque une forme de peinture de l’absorption, où l’on regarde autant que l’on est regardé. L’œuvre colossale Le Cyclope (2021) pousse cette logique à l’excès. Son sujet, la figure légendaire du Cyclope, ne rejoue pas tant le poncif du mal(e) qu’il ne propose d’approcher l’œil comme attribut essentiel de notre expérience du monde visible. Rien ici de menaçant. Bien au contraire, on serait plutôt tenté d’apprivoiser l’homme que de le fuir. Le Cyclope, d’ordinaire dépeint en prédateur y est déchu de sa bestialité, livré à notre regard. L’artiste s’empare d’un registre investi en littérature : la symbolique de l’anti-héros, comme James Joyce avait pu dépeindre la figure sans quête d’un Ulysse des temps modernes dans son roman éponyme de 1922.
Si ce dernier versait dans le carnassier et l’érotisme, il y a chez Rose Barberat la volonté de repenser les normes dominantes de la masculinité et de la féminité. Dans son approche des corps sans cosmétique ni sexualité, elle aborde les questions du genre et de l’identité. Cet aspect se traduit dans The Good life (2021) par la représentation de deux personnages féminins aux allures androgynes qui échangent un regard franc, déjouant les codes traditionnels du “male gaze”. Le résultat pourrait bien tenir de la photographie, si ce n’est que les teintes veloutées du tableau – le bleu, champ chromatique du rêve et de la mélancolie – nous rappellent à son caractère pictural. Tout entière, son œuvre converse avec l’étrange et le surnaturel, pour mieux décortiquer les enjeux contemporains de la représentation. •
Rose Barberat
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