Gregory Forstner, des fleurs pour les audacieux

L’artiste Gregory Forstner (né en 1975, Cameroun) transcende la symbolique manichéenne des fleurs en jouant sur des atmosphères à la fois humoristiques et sinistres. Un bouquet pictural qui éclot sur les murs du Frac Occitanie-Montpellier. 

Les peintures présentées au Frac Occitanie-Montpellier à l’occasion de l’exposition monographique de Gregory Forstner, “Des fleurs pour les audacieux”, regroupent les recherches de l’artiste pendant l’année écoulée, dans le contexte que nous connaissons d’un enfermement général et forcé. Les œuvres naissent alors d’un besoin de se reconnecter au quotidien par un vocabulaire commun au monde, en l’occurrence, les fleurs. Celles-ci se détachent d’un bouquet tenu par un personnage – un chien anthropomorphe et malicieux – puis quittent le second plan du thème pour prendre leurs formes sur un fond dégagé. L’arrière-plan est généralement léger, vaporeux, comme un ciel dégagé ; ou bien, par manque de matériel, il recouvre une ancienne création, pourtant achevée. Il s’agit alors de mettre à plat, de réévaluer le danger, de tout recommencer. Dans tous les cas, ce sont les premières couches de peinture qui vont dicter le tracé, le suivi du geste et la naissance de la forme. Le bouquet accessoire des débuts laisse place à la fleur comme sujet ; un sujet décliné, creusé et étiré, expérimenté et tiraillé, surgissant à la fois de la matière et du vide des jours qui se répètent et souvent se ressemblent. 

Gregory Forstner peint comme il nage, en apnée dans un élément englobant, reprenant son souffle par moment – la fluidité se dérobant dans le temps. Ses gestes sont soit vifs et précis de manière à créer l’impact, à tracer la décision dans l’élément et à travers la matérialité ; soit, avec le corps qui flotte et se laisse aller, guider, à l’aveugle presque. Il porte et se fait porter. Le tout est de retrouver la rive, de considérer l’œuvre comme achevée. On perçoit ainsi dans les peintures exposées les courbes des vagues, les variations de l’eau et du ciel, ces mouvements incessants plus ou moins calmes, plus ou moins violents, jusqu’à la tempête, au ciel lourd et à l’eau qui se brise sur les rochers. Ce sont ces mêmes énergies que l’on ressent dans l’acte même qui a fait naître l’œuvre, comme si des forces vives et instinctives avaient guidé la nécessité d’expression. Et ici, ce qui s’exprime, c’est l’impression de vie dans des perceptions très infimes : la tige qui s’allonge, la fleur qui éclot puis se fane, l’éternel recommencement et le cycle des saisons ; le printemps qui reviendra, ces choses qui sont continuellement les mêmes mais toujours différentes.

On retrouve par ailleurs cette notion de cycle dans l’accrochage ; l’exposition s’ouvre avec des peintures de bouquets, issus non pas de modèles réels mais d’images trouvées aléatoirement sur Internet. Puis, les fleurs sont les vecteurs qui permettent d’accomplir une certaine nécessité d’expression, de faire passer par la peinture des émotions et de se connecter, tant bien que mal, au monde. Elles s’individualisent, vivent, puis s’alourdissent dans la nuit qui tombe. La toile s’agrandit, jusqu’à devenir monumentale. Sur et à travers l’image, c’est donc l’idée de la fleur et aussi, la notion imperceptible de la vie qui prend forme. Les contours sont flous, les formes vaporeuses et expressives. Ce sont seulement des détails qui nous rattachent à la notion de réel, et nous font éprouver sa figuration ; un reflet, une ombre, des formes qui s’imbriquent de manière à nous faire voir une tige et un pétale, et alors à croire à la représentation de la fleur.

Le peintre a par ailleurs entièrement vécu et personnifié cette représentation : au-delà du geste instinctif qui a fait éclore l’œuvre, il s’est mis à la place de son sujet – ou vice versa. Il a ressenti avant de peindre, l’enfermement dans le bocal, l’implosion, et le temps qui passe. Ce sont les sensations que retrouve le public face à l’œuvre et devant la matérialité de la peinture qui court sur cet ensemble de toiles. Gregory Forstner est un peintre, et s’inscrit alors dans une histoire de la peinture qui l’encadre et le porte à la fois. Il pense peinture, à travers les maîtres du passé et les sujets traversés. Des fleurs pour les audacieux c’est une histoire de vanités, certes, mais de vanités qui n’ont pas envie de l’être. Elles aussi vivent, et paraissent nous dire que la mort est festive. Maintenant que les œuvres sont exposées, et d’une certaine manière activées par le public, c’est au final exactement ce qui ressort de l’exposition : la joie d’être. •


Exposition “Des fleurs pour les audacieux” by Gregory Forstner
Jusqu’au 8 septembre 2021 at Frac Occitanie-Montpellier
4, rue Rimbaud – 34080 Montpellier
frac-om.org


Vue de l’exposition de Gregory Forstner « Des fleurs pour les audacieux », Frac Occitanie-Montpellier (France), 2021 © Pierre Schwartz

Vue de l’exposition de Gregory Forstner « Des fleurs pour les audacieux », Frac Occitanie-Montpellier (France), 2021 © Pierre Schwartz

Gregory Forstner, Flowers for the Bold, 2020 © Pierre Schwartz

Gregory Forstner, Des fleurs pour les audacieux, 2021 © Pierre Schwartz

Gregory Forstner, Des fleurs pour les audacieux #4, 2021 © Pierre Schwartz

Gregory Forstner, Des fleurs pour les audacieux #27, 2021 © Pierre Schwartz

Gregory Forstner, des fleurs pour les audacieux