6 questions à Federica Chiocchetti

Curatrice du parcours Elles x Paris Photo, programme qui promeut depuis 2018 la visibilité des femmes artistes et leur contribution à l’histoire de la photographie, Federica Chiocchetti revient sur le rôle majeur des photographes féminines et explique comment elle a imaginé la sélection 2022.

  • Le parcours Elles x Paris Photo rend visible les femmes photographes. Comment expliquer la nécessité de leur représentation ?

Federica Chiocchetti : Malheureusement, nous ne sommes pas encore dans une société « post-quota » et pour arriver à des foires, festivals ou expositions avec un équilibre de genres entre les artistes, il est encore nécessaire d’encourager les galeristes, les commissaires, tous les acteurs impliqués, à rendre leur métier le plus égalitaire possible.

  • Certaines d’entre elles expriment ce besoin de visibilité par un “artivisme” évident. Quelle définition donneriez-vous à ce concept et en quoi est-il impliqué dans la photographie ?

Federica Chiocchetti : J’adore cette question et aussi ce mot devenu très en vogue. Je pense qu’il ne faut pas confondre l’artivisme avec le besoin de visibilité. Pour moi, l’artivisme est une approche qui consiste à produire des œuvres à la fois esthétiquement convaincantes et politiquement éclairantes, dans le sens où elles créent des « externalités positives » dans la société. Il n’est pas très commun que, grâce à une œuvre d’art, une loi change. Mais cela peut arriver. Je pense à Forest Law de Paulo Tavares et au formidable collectif Forensic Architecture. Pour la photographie, la question est : croyons-nous qu’une image puisse créer un impact politique positif pour la société ? Cela est compliqué parce que nous sommes plus habitués à connaître la relation entre images et propagande politique. Ce lien a toujours été très étroit si on pense au livre magnifique de Bertolt Brecht, L’ABC de la guerre, par exemple, où ce dernier compose des « photo-épigrammes » pour déconstruire les images de presse à la faveur de la guerre avec ses mots. Mais je crois aussi dans le pouvoir positif des images à sensibiliser vers des sujets délicats. Il est très difficile de trouver un bon équilibre, entre être artiste et activiste ; c’est souvent un problème de cohérence.

  • De Diane Arbus à Chen Xiaoyi, comment avez-vous construit cette sélection de soixante-dix-sept photographes ?

Federica Chiocchetti : Plutôt qu’une thématique, j’ai préféré suivre une approche plus ludique inspirée par le groupe français Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle), connu pour ses défis mathématiques imposés à l’écriture. Je voulais un nombre symbolique et je me suis contrainte à présenter des artistes encore jamais sélectionnées dans les précédentes éditions du parcours Elles. Je travaille souvent avec les associations d’idées. Dans la tradition de la tombola napolitaine, le numéro 77 est associé aux « jambes des femmes » mais aussi au diable. Il cache donc un vestige de la société patriarcale où la femme est vue comme une sorcière. Pour réhabiliter ce numéro et rendre hommage au mouvement féministe italien de l’année 1977, j’ai donc choisi soixante-dix-sept photo-artistes. Pour cette édition, j’ai souhaité étendre le parcours au secteur éditeurs. Si le livre est une œuvre d’art en soi, j’ai pu remarquer durant ma recherche qu’il y a plus de femmes photo-artistes publiées par un éditeur que représentées par une galerie ; ce qui souligne qu’il y a encore beaucoup de travail à faire pour les femmes dans le marché de la photographie.

  • De quelle manière les femmes photographes ont-elles contribué à l’histoire de l’art ?

Federica Chiocchetti : Le tout premier livre photographique British Algae Cyanotype Impressions a été créé par une femme, Anna Atkins, en 1843. Julia Margaret Cameron n’a pas seulement expérimenté au niveau technique mais nous a montré les possibilités plus littéraires de la photographie bien au-delà de sa force documentaire. La relation entre mots et images est aussi liée à des femmes : Constance Fox Talbot a été la première à photographier un poème. Je pense aussi au livre photo-poétique Songs of a Pagan d’Anne Brigman, et encore à l’art conceptuel et le postmoderne avec le travail remarquable de Martha Rosler et Barbara Kruger. Elles ont amené la relation entre photographie et performance (Martha Wilson) à des niveaux formidables, aussi par rapport à l’exploration du corps féminin (Ana Mendieta), le féminisme et la démarche post-coloniale (Carrie Mae Weems et Lorna Simpson). Je pourrais continuer d’en citer à l’infini.

  • Comment définiriez-vous la scène photographique féminine en France ?

Federica Chiocchetti : Dynamique et engagée. Il y a beaucoup d’associations et d’initiatives au niveau de soutien entre artistes et je trouve cela très beau. Au niveau artistique, j’aime beaucoup la démarche auto-ironique de Sophie Calle, la recherche de la fiction et l’approche conceptuelle de Stéphanie Solinas ou encore l’exploration des racines et mystères familiaux de Camille Lévêque.

  • Observez-vous une tendance, un mouvement particulier ces dernières années dans la photographie ?

Federica Chiocchetti : Si avant la pandémie, il était simple d’identifier des courants ou tendances comme par exemple le “photobook phenomenon” ou l’utilisation des archives et l’appropriation, je dirais qu’aujourd’hui j’ai du mal à identifier une tendance. Peut-être les artistes sont-ils encore dans une phase de rétablissement après le confinement et la distanciation sociale. 


Elles x Paris Photo
Du 10 au 13 novembre 2022
Grand Palais Éphémère – 2, place Joffre 75007 Paris

parisphoto.com


Federica Chiocchetti, courtesy of Paris Photo © Tonatiuh Ambrosetti / Jan Michalski Foundation

Chen Xiaoyi, Those Meander Worries in Barren Shell 1-8, 2021, UV print on aluminum plate, 100 × 200 cm / 120 × 240 cm, courtesy of the artist and A Thousand Plateaus Art Space, Chengdu

Stéphanie Solinas, Que faire de ses dix doigts (Autoportrait en photographe), 2013, moulage en bronze des dix premières phalanges de Stéphanie Solinas, dimensions globales variables © Stéphanie Solinas, courtesy de Jean-Kenta Gauthier

Carrie Mae Weems, Missing Link (Justice), from The Louisiana Project, 2003, pigment print, 101.6 x 73.6 cm © Carrie Mae Weems, courtesy of the artist, Jack Shainman Gallery (New York) & Fraenkel Gallery (San Francisco)

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