En sculptant ses toiles, Marius Steiger détermine les bases de sa peinture. Le jeune artiste suisse use de ces supports sur mesure pour créer une série d’objets ordinaires, semblant disposer d’un statut transitoire. De la représentation à la matérialisation, de la figure plane à l’image tridimensionnelle : tout fait référence à un jeu d’illusions.
Figurez-vous un objet appartenant à votre décor habituel. Une bouteille d’eau, une coiffeuse, un vase, un banc, un ballon. Imaginez qu’on l’aplatisse, qu’on le plie et déplie par la force de l’esprit. Imaginez ensuite que sa traduction psychique en deux dimensions nous soit accessible dans les reliefs de la vie quotidienne, comme si l’on pouvait toucher une image telle qu’elle nous apparaît dans le cerveau. C’est de ce fantasme imagé, largement traité par la tradition picturale, dont s’empare Marius Steiger (né en 1999, Berne). À savoir comment restituer — ou traduire —, les images qui traversent notre esprit, sans trahir les sensations fugaces qui les animent. Dans ses séries récentes présentées chez Blue Velvet projects à Zurich, le peintre semble s’attacher à figer ce processus du passage de l’image psychique à l’image matérielle, sensorielle, pour mieux amener le regardeur à se pencher sur des objets dont il accentue les silhouettes, tord l’échelle, souligne les lignes, appuie les contrastes de tons et de couleurs jusqu’au loufoque. Une fois étendus sur un châssis, ces objets peuvent être étudiés à plat. Ils rappellent un herbier composé des images légèrement psychédéliques, donnant l’impression d’être animée, à la manière d’un cartoon désuet et non moins charmant.
Le foisonnement d’objets permet au peintre de flanquer son matérialisme à la figure du regardeur. Non pas comme un travers honteux, mais davantage comme le rappel que nous accédons au monde par des images tout droit sorties de l’esprit. Ces images émanent des objets qui nous entourent, grâce à ce qu’ils provoquent en nous de sensations par leur matérialité. L’expression “nature morte” n’aura alors jamais été aussi trompeuse, tant Marius Steiger énonce discrètement un commentaire sur l’histoire de l’art, sur ces tableaux, signées par d’anonymes peintres du dimanche ou d’illustres artistes tels Cézanne, qui ont travaillé à traduire la vie qu’impriment les objets dans nos esprits.
Une vie spirituelle fondamentale dont la toile est la surface de projection, moyen de tracer un lien entre le monde extérieur, vécu en commun, et l’intimité d’un cerveau qui travaille sans cesse à imaginer. Comme le montrent les motifs récurrents du miroir et du reflet chez Steiger, la peinture se fait écran de plus d’une manière. Elle met en scène notre adhérence hallucinée et non moins concrète à ce qui nous entoure. Un environnement que nous tentons de mettre à distance, de dompter en maître, en l’aplatissant par l’art, à coup de paysages et de natures mortes. Mais ne pas se tromper. Rien n’est jamais plat en dehors de l’esprit. Et certainement pas les tableaux de Steiger, dont les arêtes dénudées et les contours profilant les objets représentés trahissent les volumes. Il est alors réjouissant de saisir les dimensions aplaties des images mentales du peintre, de comprendre, par le truchement de la peinture, qu’elles sont belles et bien matérielles et sensorielles, comme de la pâte à modeler qu’on aurait jetée sur un mur blanc, dans une sage galerie à Zurich par exemple. •
Exposition “Sun shines, Money falls” by Marius Steiger
Jusqu’au 27 mai 2023 at Blue Velvet Projects
Rämistrasse 3 – 8001 Zurich (Suisse)
mariussteiger.com