En ce moment résidente au sein de la Josef & Anni Albers Foundation, la jeune peintre d’origine mozambicaine Cassi Namoda porte à la lumière de la peinture la mémoire ancestrale des pays de l’Afrique de l’ouest. Une pratique entre histoire orale, carte postale et archive du temps présent.
La peinture de Cassi Namoda (née en 1988) travaille à délimiter les songes, les souvenirs et les histoires dans une forme d’élégance figée sur de la toile. Concrètement, c’est une histoire de lignes, de limites posées entre les couleurs pour tracer un paysage et des profils cohérents, équilibrés, décrivant la mythologie personnelle de l’artiste dans un spleen aux tons agréables à regarder. Comme si peindre était l’acte de distinguer une couleur d’une autre, de trancher, tout en élevant le sujet — en ce cas, un paradis perdu flottant dans les pensées de l’artiste — au rang de la noblesse que dégagent les compositions savamment travaillées, toujours à l’équilibre, proches de la peinture d’histoire. Délimiter sans cesse, sans doute est-ce là aussi l’objectif premier du portraitiste. Raconter une histoire d’un coup de pinceau, tracer une ligne intransigeante, colorée d’une nuance aussi juste que la sensation qui l’a provoquée, pour tailler dans la couleur ce qui caractérise un paysage ou un profil.
Mais de quel vagabondage intellectuel et spirituel ce paradis perdu pictural est-il la trace ? Parfois d’un folklore ouest-africain trouble et non moins référencé, inspiré de Bob Thompson notamment, ainsi que du philosophe kényan John Mbiti, qui travaille à réancrer l’origine des religions africaines dans une histoire orale. Une importance de la transmission incarnée et sensible que Cassi Namoda met en peinture en abolissant les distances entre les corps de ses personnages, qui partagent tous la même enveloppe, la même matière colorée, tous sur le même plan. Par cette opération de perspective rabattue, elle évoque aussi bien l’origine orale et charnelle du rapport à l’histoire et la spiritualité de pays comme le Mozambique ou le Kenya, qu’elle crée une série d’images folkloriques teintées de souvenirs intimes ou de voyages, traduisant un degré de nostalgie. À l’image de son exposition “To live long is to see much” à Johannesburg en 2020, ses toiles semblent toujours être ainsi recouvertes d’un papier de soie aux tons sépia, rappelant de vieux albums de famille, l’aspect bruni de documents d’archives, ou la couleur de la terre ocre de certaines parties du continent africain.
Pour l’artiste, peindre répare alors la confusion des souvenirs qui se mêlent aux histoires, grandes et petites, au temps qui passe, aux couches de couleurs et de sensations qui se mélangent. C’est faire le portrait d’une errance entre les mythes d’un temps qu’on ne connaîtra pas, en lui donnant l’aspect de la nostalgie qui caractérise si bien le temps présent. Au sujet de Cassi Namoda, l’écrivaine Enuma Okoro suggère que “l’idée que nos modes de vies actuels sont profondément influencés par des schémas comportementaux inconsciemment hérités de nos ancêtres est salvatrice. Cela suggère que nous héritons plus de ceux qui nous ont précédés que de simples caractéristiques physiques.” Enuma Okoro pointe du doigt l’indicible atmosphère que la peinture de Namoda tend à transmettre. L’écrivaine nous aide à penser la peintre en historienne, c’est-à-dire en documentariste de ce qui anime les mouvements de transmission historiques. Jusqu’à l’actuelle nostalgie, aussi douce que douloureuse, d’une histoire africaine qu’il n’est parfois possible que de rêver. Se réapproprier l’histoire passe par la peinture de paysages troubles, de visages anonymes sur lesquels se dessinent çà et là des lèvres rouges ou des traits caricaturaux, pour un imaginaire et une mythologie au présent. Rêver par la peinture étant aussi une manière de transmettre. •
Cassi Namoda
@cas_amandaa