“Souvenir nouveau” : le Grand Café conjugue le passé au futur

Réunissant plus d’une quinzaine d’artistes — parmi lesquels Mélanie Matranga, Armineh Negahdari, Nina Childress ou encore Ethan Assouline —, le centre d’art contemporain Le Grand Café à Saint-Nazaire présente une exposition guidée par la perte volontaire de repères, où “l’avenir devient un souvenir nouveau, tangible”.

Une odeur de chlore, d’une chimie artificielle, accueille le visiteur au seuil du Grand Café à Saint-Nazaire. Après quelques pas dans l’entrée carrelée de l’ancien troquet, on comprend qu’il s’agit des effluves de peinture fraîche recouvrant les murs. Le centre d’art fait peau neuve pour accueillir “Souvenir nouveau”, une exposition d’auteur pensée par Anne Bonnin, mettant en scène des œuvres d’artistes que l’on aime à penser sous le signe d’affinités électives. À l’entrée, une toile luisante de Nina Childress, Petite nageuse (2023), plonge le spectateur dans une scène issue d’une série télévisée oubliée des années 1980, Salut champion. L’ambiance olfactive est à propos, on couvre de matière à peine sèche des décors anciens. Le ton est donné, l’exposition oscillera entre nostalgie et invention. La proposition d’Anne Bonnin tend à traduire ce sentiment d’ultra contemporaine désuétude au sein des formes de l’art, des objets qui peuplent nos quotidiens, des esthétiques qui émergent dans les productions industrielles, dans la pop culture ainsi que dans les milieux avant-gardistes, tous fascinés par un bain culturel, un temps perdu qui appartient au passé.

“Souvenir nouveau” se trouve dans la droite lignée de ces faux magasins vintage, bistrots déguisés en années folles, films trop inspirés de la Nouvelle vague. Autrement dit, un mode d’emploi : comment faire du neuf avec du vieux, mettre le passé au présent. Ainsi Ethan Assouline se refuse-t-il à produire de nouveaux objets pour ses installations. Il préfère partir à la chasse aux trésors plutôt que d’alourdir la masse matérielle qui pèse sur le monde. Fasciné par l’esthétique de la joie qui infuse de nombreux objets datés de la fin du 20e siècle et du début du millénaire, l’artiste assemble par exemple un collier de perles brisé à un marchepied pour enfant flanqué d’un visage souriant. Ces objets en plastique cheap témoignent d’une forme d’espoir qui se colore aujourd’hui de cynisme à l’aune de la surconsommation que l’on peine à ralentir, et des montagnes de déchets qui saturent la surface de la terre. Ainsi décontextualisés, ridiculisés par l’ironie de l’abandon, les rebuts acquièrent une charge poétique, que l’artiste se plaît à souligner en y apposant des poèmes lacunaires. Si l’exposition n’a pas d’autre thème que les affinités de la commissaire d’exposition, ce qui en explique l’éclectisme, les œuvres d’Ethan Assouline, dispersées discrètement dans les espaces du Grand Café, aident à humer l’atmosphère qui lie tous ces objets, loin de l’arbitraire.

Au-delà de nous dévoiler sa méthode de travail, plus proche de l’écriture automatique que de la dissertation, la commissaire s’attèle donc à décliner le motif de la mélancolie du temps qui file entre les doigts et qu’on ne cesse de vouloir rattraper. Des échos se trouvent sous diverses interprétations plastiques, du film de Hamedine Kane — Déclaration de politique générale (2019) —, capturant la friction entre le charme tranquille de la vie quotidienne à Dakar et la violence d’une société empêtrée dans une histoire de la corruption, aux paysages géométriques de Samuel Richardot, qui puisent autant dans les couleurs de l’école de Paris, que dans ce qu’on s’imagine être une nature champêtre et idyllique, en passant enfin par le Phoenix (2013) de Liz Magor, dont on connaît le goût pour ces vieilles couvertures roses qu’elle ennoblit de fil d’or. Au fur et à mesure des pas et des œuvres, on aura fini par se dire que “Souvenir nouveau” est un pêle-mêle paradoxalement cohérent dans sa sélection, l’entame d’une conversation au sujet du spleen qu’induit le syndrome actuel du “c’était mieux avant”.


Exposition collective “Souvenir nouveau”
Jusqu’au 10 septembre 2023 at Grand Café – Saint-Nazaire
2, place des Quatre Z‘Horloges – 44600 Saint-Nazaire
grandcafe-saintnazaire.fr


Vue de l’exposition “Souvenir nouveau” au Grand Café – centre d’art contemporain, Saint-Nazaire, 2023. Photo : Marc Domage. Avec des œuvres de Nina Childress (Courtesy de l’artiste et Art : Concept, Paris © ADAGP, Paris 2023), Ethan Assouline et Jean-Pierre Allain.

Vue de l’exposition “Souvenir nouveau” au Grand Café – centre d’art contemporain, Saint-Nazaire, 2023. Photo : Marc Domage. Avec des œuvres de Ethan Assouline (production Le Grand Café – centre d’art contemporain), Anne Bourse (Courtesy de l’artiste et Crèvecœur, Paris), Samuel Richardot et Anne-Lise Seusse (Courtesy de l’artiste).

Samuel Richardot, Mona, 2023, huile sur toile, 200 x 150 cm, courtesy du Grand Café – centre d’art contemporain, Saint-Nazaire

Liz Magor, Open, 2018, laine, film polyester, 170 x 53 x 22 cm. Vue de l’exposition “Souvenir nouveau” au Grand Café – centre d’art contemporain, Saint-Nazaire, 2023. Courtesy Marcelle Alix, Paris. Photo : Marc Domage.

Amol K. Patil, Invisibility Visibility, 2023, impression 3D, poussière, dimensions variables. Vue de l’exposition “Souvenir nouveau” au Grand Café – centre d’art contemporain, Saint-Nazaire, 2023. Photo : Marc Domage.

Amol K. Patil, Invisibility Visibility, 2023, crayon sur papier, 21 x 29,7 cm. Vue de l’exposition “Souvenir nouveau” au Grand Café – centre d’art contemporain, Saint-Nazaire, 2023. Photo : Marc Domage.

Amol K. Patil, Invisibility Visibility, 2023, impression 3D, poussière, dimensions variables. Vue de l’exposition “Souvenir nouveau” au Grand Café – centre d’art contemporain, Saint-Nazaire, 2023. Photo : Marc Domage.

Mélanie Matranga, Sunset, 2018, coton, acier, 230 x 220 cm, courtesy de l’artiste et High Art, Paris.

“Souvenir nouveau” : le Grand Café conjugue le passé au futur