De Beyrouth à Abidjan, la jeune maison Super Yaya — lancée en 2015 — transmet à travers ses créations un ton libre et affranchi des conjonctures contemporaines. Elle propose une mode à la fois bariolée et généreuse en matières, soigneusement formulée par la main de ses artisans.
C’est à Paris, dans un petit appartement feutré décoré en damier de noir et blanc, qu’est présentée “Il n’y a plus de saison”, la collection SS24 de Super Yaya, maison de couture libano-ivoirienne. Rym Beydoun, créatrice de la marque, reçoit les visiteurs comme en sa demeure, habillée d’un ensemble bleu ciel aux influences sixties, des loukoums et du café à disposition. La jeune créatrice présente une collection de pièces que l’on sent intimes, inspirées d’une réaction épidermique à un certain état chaotique du monde, traduisant une envie d’y infuser un brin de légèreté. Et en effet, comment encore trouver le plaisir de s’habiller, d’acheter des vêtements, d’ajouter à la masse des morceaux de tissus, fringues du dimanche et robes distinguées s’amoncellant déjà dans nos placards, dans les magasins et dans les déchetteries à ciel ouvert qui parsèment la planète… ? Question d’autant plus grinçante que Rym Beydoun se trouvait à New York lorsque l’air pollué en est devenu jaunâtre, orangé. Cette preuve visuelle, indiscutable justification d’une inquiétude que les militants écologistes crient sur tous les toits, mais que la plupart préfère ignorer, rend la création de nouveaux vêtements encore plus discutable.
C’est à ce paradoxe que s’attèle Super Yaya, refusant de tourner le dos à l’invention, à l’artisanat et aux possibilités de déguisement glamour qu’offrent les vêtements à l’heure de l’effondrement. L’équipe de la jeune marque de mode a pensé une collection à échelle microscopique, en collaboration avec des artisans et couturiers libanais et ivoiriens, entre Beyrouth et Abidjan. De ce parti-pris d’une collection sur-mesure, émane aussi l’envie de refléter les paradoxes du temps présent, alors que le ciel s’empourpre, et que nos habitudes vestimentaires ne répondent plus à la rigidité des règles dantan. On trouve alors des capes sur une “veste chrétienne” qui ressemble pourtant à une blouse d’été, des cols montants sur des débardeurs aux tissus froncés, un épais pantalon jaune couleur soleil, et un sac de pique-nique estival dont les tons lie de vin évoquent pourtant une ambiance automnale. Toutes les pièces sont portables, peu importe l’occasion. Décalées en toute saison, on a envie de les enfiler pour ce qu’elles suggèrent du luxe de s’offrir une fantaisie à n’importe quel moment de l’année.
Au-delà du désir de mettre à distance nos réflexes vestimentaires saisonniers, il est donc question de penser l’habillement comme un jeu, voire une pratique du déguisement. Le nom de la “robe Françoise” aura donc été inspiré des Demoiselles de Rochefort de Jacques Demy, manière de souligner que la mélancolie côtoie parfois l’élégance de couleurs vives et de mélodies légères. Que reste-t-il à faire lorsque tout brûle ? S’habiller comme pour un dernier soir, revenir à une échelle humaine, à des tissus cousus main, au plus proche des peaux qui les portent, pour rejoindre ce tableau aussi joyeux qu’effrayant d’inconscience que peignent les conjonctures actuelles. Comme si le moiré du précieux bazin de quelques robes pouvait permettre d’oublier les désordres du monde. Face à l’inertie, la réponse de Super Yaya paraît être celle de l’attention aux détails, d’un retour à l’échelle locale, aux associations de couleurs intuitives, et au sur-mesure. Une certaine idée de la joie en somme, à l’image de la récente collaboration avec Gohar World qui prend la forme d’une collection capsule célébrant “les festivités estivales et les plaisirs quotidiens”. •
Super Yaya
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