En composant un agrégat de matières avec des moulages de carrosserie, Jules Dumoulin déploie le scénario d’un crash sublimé dans la galerie parisienne Javault-Eva Pritsky. Ses sculptures, majoritairement faites de cires teintées, évoquent les restes d’un accident, à la manière de pièces à conviction.
Quelques minutes après avoir quitté la galerie Javault-Eva Pritsky, reste à l’esprit la silhouette d’un christ en croix. Un corps cloué sur une structure en bois la tête dans le vide, bras écartés, jambes galbées, dont la position évoque l’efficacité visuelle de la rencontre entre deux lignes, permettant au regard de se focaliser à l’endroit où elles se superposent, au niveau du visage éperdu. C’est cette même efficacité visuelle que les Ailes de Jules Dumoulin semblent travailler dans l’exposition “L’ombre des ailes de voiture”. Non pas que ces sculptures en résine, cire et fibre quadriaxiale aient plus à voir avec la religion qu’avec ce qu’on s’imagine être un élément de carrosserie issu d’une voiture bariolée. Toutefois, accrochées les unes à la suite des autres sur les murs de pierres défraîchis et travaillés à la chaux de l’ancienne brocante, les sculptures invitent à une forme de méditation qui ne serait liée qu’à la vision : comment le regard distingue-t-il un objet d’un autre ? Quelle équation d’assortiment de lignes et de couleurs séduit l’œil à tel point qu’on puisse trouver de l’intérêt au plus anodin des déchets ?
Mêlant formes évocatrices extraites d’objets trouvés dans la rue à cette matière colorée et abstraite, les œuvres de Jules Dumoulin hésitent entre références au réel le plus ordinaire et pures abstractions poétiques, comme en témoigne le titre de l’exposition. Et pour cause, l’artiste a pensé son exposition à la manière d’un accident de voiture sublimé, comme si les éléments d’un tel évènement avait été projetés sur les murs et aux centre de la galerie. Semblables à des pièces à conviction ou des preuves sur une scène de crime, le visiteur tombe sur un morceau de portière, un bout de réservoir, une tête séparée de son corps, et recompose le carambolage par la force de l’imagination.
De cette manière, la mise en espace prend la forme d’une explosion, montrant à quel point un tel incident influe sur l’esprit, les formes de l’imagination, plongeant alors dans un trouble abstrait duquel on se dégage difficilement pour parvenir à penser, voir et imaginer clairement à nouveau. Dans ce même mouvement, le grave accident de scooter que Jules Dumoulin a lui-même traversé aura donc remis son processus de création à zéro, sorte de renaissance artistique ou de résurrection le menant à sculpter à partir d’objets trouvés dans la rue : ailes de voiture, carénages de scooters, phares, pièces de moteur, visières de protection… Autant d’objets qu’il moule et costume de couleurs vives, rappelant le geste du peintre qui, avec un peu d’eau, des minéraux et un bon coup de poignet, transforme une matière quelconque en la plus spirituelle des images. Trouver la rédemption (artistique) à partir de la violence d’un événement, déceler l’éclat de l’ordinaire : le chemin de croix pourrait être une métaphore de l’expérience esthétique, entre confusion, opacité et révélation finale. •
Exposition “L’ombre des ailes de voiture” by Jules Dumoulin
Jusqu’au 24 septembre 2023 at galerie Javault-Eva Pritsky
5, rue d’Eupatoria – 75020 Paris
galeriejavault.com