Par l’étroite collaboration avec des talents contemporains — artistes, designers, scénographes —, les maisons de mode font du décor de leurs défilés le second point d’attention de leurs présentations saisonnières. Monumentale ou minimale, l’esthétique de ces arrière-plans remarqués se dote d’un caractère ultra-plastique.
GALERIE ÉPHÉMÈRE
Le modèle n’est plus seul sur le podium : les œuvres d’art défilent aussi. Pour la fashion week printemps/été 2024, la maison LOEWE a confirmé cette tendance en renouvelant sa collaboration avec la sculptrice américaine Lynda Benglis. L’artiste a été invitée à signer les six pièces en bronze ponctuant la trajectoire des silhouettes, faisant ainsi directement écho à sa collection de bijoux codéveloppée avec la marque cette saison. Comme dans une exposition, les sculptures abstraites savamment disposées occupaient l’espace aux allures de galerie d’art, ne laissant que leurs surfaces mates et brillantes se détacher d’un fond “white cubesque”. Résonnant avec ce paysage métallique augmenté, colliers, bagues, bracelets et boucles d’oreilles portés par les modèles confirmaient le leitmotiv de la collection : “regarder de loin, puis regarder de près, en zoomant sur les détails”. Et pour cause, LOEWE a redéfini l’échelle d’une série préexistante de l’artiste, constituée de petits volumes en argile — matériau que Benglis pratique depuis le début des années 1990 — intitulée Elephant Necklace, où les empreintes laissées par sa main sont ici agrandies, exagérées, jusqu’à l’éclatement.
Dans un autre registre, Acne Studios a récemment collaboré avec l’artiste autrichien Lukas Gschwandtner (qui a déjà œuvré pour Fendi, en présentant notamment une installation inspirée de l’Antiquité lors de l’édition 2022 de Design Miami). Ce dernier a positionné, à l’occasion de la dernière fashion week, une monumentale boule à facettes — designée par Alice Kirkpatrick avec Bureau Betak — paraissant s’être écrasée au sol de L’Observatoire de Paris. Allégorie de fête, indice d’accident, l’immense disco ball “abîmée” laissait émerger une atmosphère d’after party parachevée par d’épais coussins beiges, éparpillés çà et là, sur les marches destinées aux spectateurs.
Commanditaire d’œuvre inédite à son tour, la maison Miu Miu s’est orientée vers l’artiste qatari-américaine Sophia Al-Maria pour réimaginer les contours du Palais d’Iéna dans le cadre de son défilé printemps/été 2024. En collaboration avec l’agence OMA, l’installation Gravity & Space plaçait le défilé dans un paysage de ruines technologiques voué à représenter “une confrontation entre réalité et fiction”, reflet de l’intention de l’artiste. Un sens du storytelling, peuplant l’espace d’écrans et de plateformes, voué à “transmettre le passé, partager le présent et imaginer l’avenir”.
SCÈNES IMMERSIVES
Au-delà de l’œuvre elle-même, la scénographie immersive fait aussi ses preuves en termes de plasticité. Il est ici question du déploiement d’un environnement total, où la mise à distance entre le spectateur et le modèle est abolie par le biais d’un espace mouvant ou enveloppant. Pour présenter sa collection femme printemps/été 2024, Prada a renouvelé son dispositif scénographique installé pour le défilé masculin en juin dernier, en le recyclant dans une autre palette chromatique. L’espace industriel du Deposito de la Fondation Prada, à Milan, laissait ainsi échapper une nouvelle fois ses fluides dégoulinant du plafond, “créant une enfilade mouvante” le long de laquelle les modèles ont défilé. Les observateurs étaient, eux, placés sur des assises orientées de façon à laisser leur regard traverser ces “murs abstraits” liquides.
Chez Casablanca, la matière première travaillée pour le décor de son podium était la lumière cette saison. La collection “Day of Victory” (printemps/été 2024) s’est révélée entre deux surfaces planes aux couleurs évolutives : celle du sol et celle d’un plafond particulièrement bas, encadrant le passage des silhouettes en leur centre. Hommage au Nigéria, l’inspiration du défilé mettait en exergue “les couleurs changeantes de la région saharienne, les tons et les atmosphères des différents villages, villes et pays tout autant que la richesse des échanges entre des disciplines artistiques, musicales et cinématographiques africaines”. Signé Charaf Tajer et Steve Grimes, respectivement fondateur et directeur artistique du label, le design de l’espace captivait par ses dégradés chromatiques en dialogue avec les imprimés des vêtements de la collection.
Experte en saturation visuelle, Dior multiplie les collaborations avec des artistes femmes. Après Eva Jospin qui avait transformé le catwalk de son défilé prêt-à-porter printemps/été 2023, la maison a sollicité la Portugaise Joana Vasconcelos pour sa collection automne/hiver. Un décor baroque et ovniesque, où les iconiques Valkyries de la plasticienne définissent “une forme libre constituée notamment de tissus, de dentelles, de broderies et de compositions au crochet, dont il est impossible de s’échapper, et à laquelle s’ajoutent des ‘îles’ aux formes organiques, elles aussi en tissu, dans lesquelles le public est invité à s’asseoir”. Le décor tentaculaire était immergé dans une lumière bleue, soulignant l’aspect onirique de l’événement. •