Frieze London : ces artistes nés dans les années 1980 à retenir

À Londres, la semaine passée, la Frieze reprenait ses quartiers à Regent’s Park en exposant un vivier international d’artistes contemporains. Naviguant entre de nouvelles formes de représentation, toute une génération de talents nés dans les années 1980 s’y est faite remarquer, par la puissance visuelle d’œuvres qui n’hésitent pas à entrecroiser les références à la société contemporaine. Revue en dix noms à connaître.

Prem Sahib (né en 1982, Angleterre)

Connu pour ses corps-fantômes qui, à l’aide de vêtements, deviennent sculptures voire meubles — à l’image des Puffer Desks produits en 2021 à partir de doudounes Moncler —, Prem Sahib explore la désincarnation de l’individu. En figurant un duo de hoodies tenant à la verticale, dans le vide, l’artiste anglais fait ici référence à la tension entre domination et soumission qu’il conjugue au doute : la position des manches évoque un jeu de saute-mouton mais l’absence de visage et de membres fait planer un sentiment de danger, d’inquiétude.

Prem Sahib, Apotropaic 1, 2023, courtesy de Phillida Reid (Londres)

Afrah Shafiq (née en 1989, Inde)

Artiste multimédia, Afrah Shafiq remixe des images d’archives provenant du nord de l’Angleterre, représentant souvent des femmes assises et occupées, comme mécanisées, pour en donner de nouvelles lectures. Sa série st.itch, composée de différents patchworks, examine le potentiel transgressif du travail domestique des femmes et son lien avec la programmation, la cybernétique et le code. En témoigne An Endless Afternoon Defragments (2018) qui déconstruit la stéréotypisation féminine et reconstruit un nouveau tableau complètement désaxé.

Afrah Shafiq, An Endless Afternoon Defragments, 2018, courtesy de Experimenter (Calcutta).

Koak (née en 1981, États-Unis)

Pratiquant à la fois la sculpture et la peinture, Koak relie l’abstraction à la figuration avec Modesty (2023), sorte de paravent aux contours néo-baroques. Inspiré par le vocabulaire de la bande dessinée, son style illustratif apparaît ici comme des vignettes en venant s’intégrer directement dans les ouvertures de la structure. La pièce, ponctuée de figures féminines érotisées, s’inscrit dans l’examen de la hiérarchie des genres à travers l’histoire de l’art et le regard féminin, entrepris par l’artiste depuis plusieurs années. 

Koak, Modesty, 2023, courtesy de Union Pacific (Londres)

Grace Weaver (née en 1989, États-Unis)

Adepte des représentations chaotiques, l’artiste américaine Grace Weaver défend une vision de la féminité contemporaine noyée dans l’embarras et l’inconfort. Ainsi, sa série d’aquarelles Untitled (Head) (2023) présentées à la Frieze London met-elle l’accent sur des visages exagérés, des profils aux courbes généreuses et des traits ultra-simplifiés, gommant toute trace d’individualité. Une perception mélancolique et naïve à la fois, soulignée par l’apposition de traces noires sur une palette chaude dictant la surface des portraits.

Grace Weaver, Untitled (Head), 2023, courtesy de Max Hetzler (Berlin / Paris / Londres)

Magali Reus (née en 1981, Pays-Bas)

Marmelades, confitures, yaourts : la série Clementine de Magali Reus s’approprie le produit de consommation en revisitant la symbolique du pot alimentaire. Dans son travail, ce dernier devient la surface d’une expression créative où se mêlent anecdotes, iconographie et symboles d’un univers multidimensionnel. L’artiste néerlandaise fait un pied-de-nez au ready-made en redéfinissant elle-même l’échelle du modèle et en constituant, à partir de résine, chacun des supports. Ses sculptures fondent ainsi une imagerie aux références multiples, fortement imprégnée du lettering.

Magali Reus, Clementine (Bandid), 2023, courtesy de The Approach (Londres)

Kira Freije (née en 1985, Angleterre)

Prenant appui sur les contradictions qui résident entre fatalité de la destinée humaine et besoin vital du collectif, les corps de Kira Freije révèlent une tourmente. Évidés de leur chair, ses squelettes métalliques ne sont protégés que partiellement par certains vêtements, et semblent exposés à la vulnérabilité du monde extérieur. Humbles, orientés dans des attitudes statiques, ces personnages solitaires laissent entrevoir un monde post-humain où le désordre règne et fait émerger un sentiment existentialiste.

Kira Freije, dipping voices, on the side of the sun, 2022, courtesy de The Approach (Londres)

Morag Keil (née en 1985, Écosse)

En remplaçant les chiffres d’une horloge par une série de chaussures isolées de leurs paires, Morag Keil place l’accessoire de mode au titre d’un élément constitutif de l’existence. Les aiguilles, centrées au cœur du cadran surréaliste, pointent cette ronde d’objets paraissant tout droit sortir d’un placard ; dès lors se dessine une poésie des contraires entre bien matériel et immatérialité du temps, possession individuelle et appartenance collective. Une vision pop et conceptuelle qui dresse le portrait d’une société consommatrice.

Morag Keil, Clock, 2023, courtesy de Project Native Informant (Londres)

Yooyun Yang (née en 1985, Corée)

Au-delà du sentiment anxiogène qui traverse son œuvre, la peinture de Yooyun Yang se dote de surfaces énigmatiques aux contours presque flous. L’artiste coréenne utilise le jangji comme support, un papier épais traditionnel fabriqué à la main à partir d’écorce de mûrier. Travaillant à partir de photographies, elle traduit dans cette voie énigmatique un panorama de portraits et de détails où le mystère rôde grâce à un étonnant équilibre entre ombres et lumières. Angéliques ou ténébreuses, ses figures évoquent les canons de l’histoire de l’art occidentale tels que définis par le clair-obscur de Le Caravage ou le réalisme d’Edward Hopper.

Yooyun Yang, Stranger, 2023, courtesy de Night Gallery (Los Angeles)

Jonny Negron (né en 1985, Porto Rico)

Entre humour et dérangement, les toiles de Jonny Negron prennent souvent la direction de couleurs crépusculaires, baignant ainsi les scènes représentées dans une absence de repères spatiaux. Brassant des thématiques comme la beauté, le culte du corps et la médiatisation de l’image corporelle, l’artiste prévient d’un monde incandescent, croulant sous la menace d’objets et de corps imposants. Cigarettes, bijoux, maquillage : l’artiste portoricain met en exergue l’activation de ces accessoires glorifiant le soi avant l’autre.

Jonny Negron, Visions of Your Reality, 2023, courtesy de Château Shatto (Los Angeles)

Bayrol Jiménez (né en 1984, Mexique)

Inspiré par la culture populaire mexicaine, dont on reconnaît la palette fauve et mouvementée, Bayrol Jiménez explore les possibilités formelles du cadre. Ses paysages abstraits, où se détachent parfois des silhouettes reconnaissables (végétales, animales, minérales), donnent à voir un langage onirique et illustratif emprunté à la fiction dessinée. À la Frieze, il présentait la grande toile El sueño del perro (“le rêve du chien”, en français), apposé sur deux pieds statuaires tenant rôle de piédestal.

Bayrol Jiménez, El sueño del perro, 2023, courtesy de Peres Projects (Berlin / Séoul / Milan)


Frieze London 2023
frieze.com


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