La nouvelle directrice artistique de Paris Photo éclaire le secteur “Curiosa”, dédié à la présentation des nouveaux talents. Entre tendances visuelles et diversité internationale, Anna Planas revient sur les spécificités d’une nouvelle générations d’artistes photographes faisant évoluer les pratiques autour du médium, et exposés sur la foire cette année.
À chaque édition de Paris Photo, “Curiosa” invite à la découverte d’une jeune scène photographique. Comment avez-vous imaginé ce secteur cette année ?
Anna Planas : L’idée est de représenter une diversité de pratiques et de rester attentive à la qualité des projets présentés. De façon plus générale, cette génération révèle une manière de travailler très ouverte, toujours en collaboration, et qui sollicite une part de l’attention du spectateur. Les liens entre les projets sont intuitifs, mais on retrouve des sujets récurrents et un certain engagement des artistes en faveur de notre époque et des problématiques que traverse notre société.
En quoi la dimension internationale des exposants et artistes participe-t-elle de la diversité des projets montrés ?
Anna Planas : La dimension internationale permet de rendre visible d’autres points de vue sur le monde, sur la manière d’appréhender la photographie, et notamment par la photographie documentaire. Il y a par exemple les artistes Yelena Yemchuk, originaire d’Ukraine et basée aux États-Unis, et Hoda Afshar, Iranienne basée au Canada, qui traitent toutes les deux de sujets à la fois politiques et personnels dans un documentaire qui refuse ses codes classiques ; ou encore Felipe Romero Beltrán, Colombien basé en Espagne, qui travaille avec des migrants venant d’arriver dans le pays après avoir traversé la frontière par la mer et qui rejoue par les gestes ce voyage initiatique. Mais la diversité vient également de la scène française, avec des artistes qui ont des origines diverses.
Comment avez-vous identifié les seize artistes qui bénéficient pour la première fois d’un solo show à Paris Photo ?
Anna Planas : Il y a un grand nombre d’artistes émergents qui n’ont pas encore bénéficié d’un solo show à Paris Photo. La question de l’émergence dans une foire est intéressante parce que, pour avoir le soutien d’une galerie, il faut déjà avoir une certaine trajectoire artistique. Au départ, je me suis rendu compte que beaucoup des artistes que je considérais comme émergents n’étaient pas encore représentés, malgré leur carrière. Des secteurs comme « Curiosa » encouragent justement les galeries à s’intéresser à cette nouvelle scène, et à collaborer avec des artistes, ou bien même à participer à une foire pour la première fois. Il y a dans cette sélection des projets que je suis allé chercher, mais également d’autres qui se sont démarqués parmi les candidatures pour le secteur — chaque année toujours plus nombreuses et de qualité grandissante.
Notez-vous des thèmes communs qui traversent certains projets ? Pour quelles raisons, selon vous ?
Anna Planas : Des thématiques telles que l’immigration, l’exil, la notion d’étranger ou encore la collaboration sont communs à certains projets. Puis, dans des œuvres plus plastiques ou à partir d’archives, la disparition de l’image est aussi récurrente. Les sujets peuvent se répondre, certains projets sont très ancrés dans une approche en lien avec l’humain, le réel, la performance, puis des œuvres utilisent seulement des archives, avec un regard plus conceptuel sur la manière d’appréhender la photographie aujourd’hui. En parallèle du secteur digital, j’ai eu l’envie de rester sur des projets en lien avec l’humain et montrer des œuvres organiques, où les artistes n’hésitent pas à passer du tirage aux archives, du dessin à la performance.
Quel lien entretient la présentation formelle des images avec la nature des projets ?
Anna Planas : La scénographie est une part importante dans l’exposition de photographies, et en particulier lorsque nous voulons donner une intention à une oeuvre, lui donner une compréhension d’ensemble, comme c’est le cas dans un solo show. L’accrochage, qu’il soit simple ou complexe, est toujours le fruit d’une réflexion avec l’artiste et porteur d’une intention. La jeune génération a intégré dans sa pratique la version formelle finale de son image comme un langage à part entière. Dans « Curiosa », le travail de Constance Nouvel, par exemple, joue beaucoup avec ce que nous pouvons voir dans l’image et ce qu’elle évoque, emmène le spectateur dans un « décor » ; Hubert Crabières, lui, joue avec l’idée même du décor dans son studio d’artiste et rejoue les images dans une scénographie ; Rebekka Deubner, elle, « étale » les images des vêtements de sa mère sur un mur quand Nhu Xuan Hua recrée dans sa scénographie le jardin de son pays natal…
Aujourd’hui, quelles tendances visuelles observez-vous chez les jeunes photographes ? Comment les pratiques photographiques évoluent-elles ?
Anna Planas : Les photographes se servent aujourd’hui de toutes les formes et tendances de la photographie, et c’est peut-être ce qui caractérise cette nouvelle génération. Il y a des artistes qui reviennent à des pratiques très analogiques — à l’image de Vivan Galban qui construit une chambre noire transformée en laboratoire et qu’elle vient ensuite « habiter » le temps de l’exposition. Il y a une grande fluidité et dialogue constant entre la photographie et d’autres pratiques, ce qui rend ce médium très « vivant » et « décomplexé ». •
Paris Photo 2023
Du 9 au 12 novembre 2023 at Grand Palais Éphémère
2, place Joffre – 75007 Paris
parisphoto.com