Avec « Visions chamaniques. Arts de l’ayahuasca en Amazonie péruvienne », le musée du quai Branly – Jacques Chirac explore les relations entre substances hallucinogènes et productions iconographiques. De l’émergence d’un art visionnaire aux influences occidentales, l’exposition s’appuie sur le rayonnement des images mystiques.
Zone d’exploration choisie pour cette exposition, l’Amazonie occidentale s’affirme historiquement comme point de rencontre entre plusieurs cultures en quête d’hallucinations. Au moyen de l’ayahuasca, un breuvage hallucinogène d’origine végétale signifiant « liane des morts » en quechua, plus de 150 groupes autochtones de la région se sont intéressés aux qualités psychotropes de la substance pour faire émerger des « images visionnaires ». Également utilisé à des fins chamaniques, thérapeutiques ou cérémonielles, l’ayahuasca est éclairé ici comme vecteur d’inspiration artistique ; en témoigne la section de l’exposition dédiée à l’émergence de la « peinture visionnaire » en Amazonie péruvienne, dont Pablo Amaringo (1938-2009) est le pionnier.
Figure tutélaire du courant pictural, Amaringo attribue dès les années 1980 une dynamique chamanique à ses créations qui conjuguent foisonnement naturaliste et procédés ritualisés. Dans l’exposition, le musée du quai Branly présente Vision of the Snakes (1987), une gouache sur toile qui consacre la vitalité d’un art onirique, spirituel, empli de créatures animales, végétales et chimériques. « Dans cette vision, nous voyons des anacondas et des serpents venimeux. En haut à gauche, le Huairamama lance son arc-en-ciel dans la jungle pour donner de la force au médicament que le guérisseur prépare pour son patient, qui a été mordu par un serpent. À l’arrière-plan, des êtres au rayonnement magnétique jouent de la musique pour rendre l’icaro [chant rituel] (…) plus agréable. (…) Après la guérison, le guérisseur chante un autre icaro pour que les serpents s’éloignent de la maison », explique l’artiste, démontrant ainsi les liens forts qui résident dans cet art à la croisée du chamanisme et de la cosmologie.
Qualifié par une vaste palette chromatique, le répertoire de formes qui traduisent ces expériences hallucinatoires fait la part belle aux motifs kené (signifiant « dessin » en langue shipibo-konibo). Ces derniers sont reconnaissables par leur puissance rythmique habillant aussi textiles, poteries, sculptures et autres parures. Quand certains refusent les représentations figuratives, l’abstraction des artistes inspirés par l’expérimentation de l’ayahuasca se télescope par une géométrie où les signes s’imbriquent les uns aux autres pour composer des graphismes précis — souvent en all-over — peints à la main, à l’aide de pigments naturels ou d’encres industrielles. La diversité des matériaux et des objets, dont la plupart sont issus de la collection du musée du quai Branly, se déploie ainsi dans toute l’exposition en se complétant d’œuvres contemporaines produites dans les années 1990 par des artistes comme Roldan Pinedo, José Tamani et Jheferson Saldaña ou encore Robert Venosa, et reflétant l’intérêt croissant du public international avec l’émergence récente d’un « tourisme chamanique ». •
Exposition “Visions chamaniques. Arts de l’ayahuasca en Amazonie péruvienne”
Jusqu’au 26 mai 2024 at musée du quai Branly – Jacques Chirac
37, quai Branly – 75007 Paris
quaibranly.fr