Nouvel ouvrage du photographe suisse Walter Pfeiffer, Chez Walti rassemble un corpus d’images capturées ces vingt dernières années, à travers sa carrière dans la mode et issues de sa pratique personnelle. Une explosion chromatique où se lient clichés de fêtes, mises en scène alternatives et portraits débridés.
Après Welcome Aboard (2001), imposante somme du travail photographique de Walter Pfeiffer (né en 1946) retraçant son évolution des années 1980 à 2000 — de l’underground au papier glacé des magazines de modes, l’ouvrage Chez Walti tente un tout autre tour de force. Dès la première page tournée, le rideau de velours vert en gros plan annonce une théâtrale plongée dans l’univers de Walter Pfeiffer, une expérience immersive invitant le lecteur à découvrir un répertoire esthétique bigarré, entre glamour, érotisme, et une passion amusée pour la composition de décors géométriques aux couleurs saturées.
Le livre est une main tendue exhortant à pénétrer l’imaginaire du photographe, comme si l’on entrait en sa demeure pour une fête en petit comité, entouré de ses plus proches amis, de mannequins aux mines boudeuses et aux corps sculpturaux. Sans surprise, on découvre alors un homme nu surpris de dos par la caméra, prêt à s’assoir sur un bouquet de tulipes, une femme habillée d’une robe matelassée qui prend la pose sur un fond jaune, ses oppulents rangs de perles débordant de la naissance de son cou. À quelques pas, Cara Delevingne déguste une pâtisserie dans le coin d’un salon rococo drapé de broderies rouges et meublé de laque à outrance. De l’autre côté de la pièce, et à mesure que les pages se tournent, on aperçoit aussi une jeune fille vêtue d’une coiffe de comtesse, le regard lourdement maquillé et baissé en direction des platines qui rythment cette fabuleuse soirée “chez Walti”.
L’ouvrage a tout de la sauterie débridée. Toutefois, au détour des mondanités que figurent certaines images, on trouve aussi de la vaisselle cassée, des gros plans sur des plats éclairés au flash, et quelques natures mortes aussi abondantes qu’acidulées. Les couleurs sont vives et les compositions toujours savamment orchestrées afin de former des rapports de formes abstraites entre les objets. L’on passe ainsi d’une impression d’intérieur feutré à des photographies produisant l’effet d’une réalité augmentée. À la manière du Nowhere (1997) de Gregg Araki, le décor halluciné des photographies de Walter Pfeiffer permet d’introduire un ton décalé dans des images autrement au bord de la caricature publicitaire. Les corps athlétiques ne sont pas toujours à leur avantage, les teintes accentuées reproduisent des effets psychédéliques, et une grande partie des images donne une impression de prise sur le vif, comme de vieux clichés de fin de soirée qu’un de ces personnages aurait posté sur Facebook. L’itinéraire de l’invité est complet : des petits-fours jusqu’à l’after-party. Mais que ce soit en montrant l’endroit ou l’envers du décor, Pfeiffer n’oublie jamais sa matière première, à savoir le désir qui traverse toutes ces images, de la pure représentation d’actes sexuels à une métaphore de sa profonde attirance pour le médium photographique. •
Chez Walti by Walter Pfeiffer
Edition Patrick Frey
editionpatrickfrey.com