À la Fondation Louis Vuitton, les anti-ombres de Xie Lei

En marge de sa grande rétrospective consacrée à Mark Rothko, la Fondation Louis Vuitton présente une exposition de l’artiste chinois Xie Lei (né en 1983, vit et travaille à Paris). Inscrite dans le cadre des projets Open Space dédiés à la jeune création contemporaine, « Au-delà » dévoile un ensemble inédit de cinq peintures, juxtaposées sur un mode panoramique et dont les motifs se dédoublent dans le reflet trouble du grand miroir avec lequel l’artiste a recouvert l’un des murs. 

Ce qui frappe en entrant, outre le dispositif astucieux du panneau miroitant, c’est la qualité lumineuse des œuvres, dont émane une clarté, une aura irréelles. Si Xie Lei a souvent travaillé en camaïeux, préférant pour ses œuvres des teintes nocturnes (bleu, violet, pourpre) ou chaudes (ocres, bruns dorés, jaunes incandescents), la couleur est cette fois-ci plus électrique, d’un bleu-vert étrangement fluorescent. C’est la lueur des événements paranormaux, celle des apparitions surnaturelles. Car on l’aura compris, l’au-delà du titre renvoie bien au monde des esprits et des revenants. 

Le thème n’est pas nouveau, il irrigue au contraire le travail de Xie Lei depuis ses débuts. Dans un récent entretien, l’artiste confiait un souvenir d’enfance ayant trait à sa fascination, parfois mêlée d’inquiétude, pour les figures spectrales : « Quand j’étais petit, on nous apprenait que pendant la nuit, quand on dormait, il ne fallait surtout pas garder la bouche ouverte, parce que des fantômes pourraient venir aspirer notre esprit. » Rien que des histoires à dormir debout ? C’est parfois pour elles qu’on se met à peindre, pour leur donner corps et les faire surgir. Chez Xie Lei, ces esprits suspendus au bord des lèvres du dormeur s’incarnent en figures phosphorescentes, ni particulièrement femelle, ni particulièrement mâle. Ce sont des êtres insaisissables aux silhouettes et aux traits dissous dans l’éclat aveuglant d’une lumière intérieure. Des anti-ombres, des corps ouverts, béants, dont ne subsistent bien souvent que les mains, juste de quoi les laisser s’accrocher à notre monde et conserver sur lui une emprise, même minime.

Tout bien considéré, il y a chez le jeune artiste quelque chose du romantisme noir, qui peut faire songer aux visions de Füssli ou d’Odilon Redon. Non pas seulement le goût de l’étrange, mais un sens aigu du mystère, une acuité et une capacité à faire voir ce qui d’ordinaire ne se laisse pas voir. C’est une peinture de l’émotion et de la sensation en même temps qu’une peinture d’histoires, de fables et de récits fantastiques. Assurément, Xie Lei est de ces artistes-poètes qui font encore confiance à l’imagination pour ouvrir d’autres mondes, et c’est là ce qui fait la force et l’intérêt de son œuvre.

En quittant la salle, on remarque un plus petit format, isolé sur son grand mur blanc. Trois mains s’appuient sur un fragment de corps nu posé au sol. Ici aussi la touche est légère, la matière translucide, les membres sont à peine dessinés et pourtant l’on sent la pression, on entend le frôlement des peaux. La peinture hésite et oscille, à la fois volatile et persistante. Un dernier coup d’œil dans le grand miroir où le monde chavire à l’envers. L’image nous attrape par surprise, elle se fixe au coin de l’œil. On sort de là, hanté. 


Exposition “Au-delà” by Xie Lei
Jusqu’au 2 avril 2024 at Fondation Louis Vuitton
 8, avenue du Mahatma Gandhi – 75116 Paris
fondationlouisvuitton.fr


Vue de l’exposition “Au-delà” de Xie Lei, Fondation Louis Vuitton, Paris, 2023. Courtesy de l’artiste et de la Fondation Louis Vuitton. Photo : Charles Duprat.

Xie Lei, Au-delà I, 2023, huile sur toile, 270 x 205 cm. Courtesy de l’artiste et de Semiose (Paris).

Vue de l’exposition “Au-delà” de Xie Lei, Fondation Louis Vuitton, Paris, 2023. Courtesy de l’artiste et de la Fondation Louis Vuitton. Photo : Charles Duprat.

Vue de l’exposition “Au-delà” de Xie Lei, Fondation Louis Vuitton, Paris, 2023. Courtesy de l’artiste et de la Fondation Louis Vuitton. Photo : Charles Duprat.

À la Fondation Louis Vuitton, les anti-ombres de Xie Lei