En réunissant treize artistes et créateurs étrangers à la galerie Sans titre, à Paris, l’artiste et commissaire Hamish Pearch compose une grammaire de l’exil, de l’errance humaine, peuplée de faux-semblants. L’exposition “Dispatches” explore en ce sens les notions de périples et d’éloignements, sans pour autant se mettre à distance de la réalité du monde contemporain.
On plie vite bagage au moment d’un désastre. La conscience se charge d’emporter les souvenirs, les affects et les idées qu’inspire quotidiennement le lieu de vie. C’est ce sentiment de hâte, advenant au moment où, face à une catastrophe, il s’agit davantage de fuir en mettant ses pensées en ordre que de collecter des objets auxquels on tient. C’est tout un monde que l’on emporte avec soi au moment de quitter sa maison. C’est tout un univers sensible d’idées, de rêves et d’espoir peut-être. Hamish Pearch (né en 1993) met étonnamment en scène cette précarité de l’exil dans “Dispatches”, occulte exposition nichée à l’intérieur de la galerie parisienne Sans titre. On est alors accueilli par une mise en espace pensée comme la photographie en trois dimensions d’une catastrophe imaginaire, et de l’exode qui s’ensuit.
Un piédestal en carton, des chaises en l’air couvertes de draps agités, quelques tableaux cosmiques aux couleurs chaudes, trois silhouettes de vagabonds apparemment vêtus de haillons, et au fond, tout au fond de la galerie, trois sculptures périssables soulignant le passage du temps : un fenouil noirci flanqué d’une horloge, un volant planté dans un radis un peu moisi, une sculpture en crayons à l’équilibre précaire. Les œuvres crient presque “souviens-toi que tu vas mourir”, “souviens-toi que le monde va un jour s’effondrer et qu’il ne restera derrière l’humain que des images, des relations et de la pensée, point d’édifices, que des formes fragiles”. Choisissant de réunir treize artistes étrangers à Paris, Hamish Pearch montre ce que l’on peut emporter avec soi d’imaginaire, d’errance ou de précarité en quittant son pays.
L’exposition braque la focale sur la réalité politique que traînent avec eux les exilés : la nécessité de fuir, de quitter un chez soi. En témoignent les œuvres sur papier d’Aysha E Arar (née en 1993), qui, dans un dénuement formel, utilise la métaphore d’une sirène trop à l’étroit dans le monde des poissons pour décrire au présent sa Palestine natale. Ces simples dépêches, comme venues du champ de bataille, entrent en rapport direct avec l’apparente vulnérabilité des matériaux exhibés dans la galerie : le carton des socles, les objets trouvés qui servent à fabriquer les marionnettes de Brian Griffiths (né en 1968), le pourrissement des Perishables de Clara Hastrup (née en 1990)… Rien n’est à l’abri, tout est au bord de la ruine.
Mais ceux qui sont contraints de s’en aller ne peuvent se passer d’imagination, comme une résistance irréductible. Et c’est à cet endroit précis que les allusions mystiques — dont une sculpture solaire de Lotte Andersen (née en 1989) — prennent sens dans l’exposition. Lewis Teague Wright (né en 1987) travaille ainsi à révéler l’espoir d’un monde meilleur, d’une cosmologie nouvelle, avec ses Polaroïds cernés de couleur rouge et d’empreintes digitales rappelant l’art pariétal. Les êtres humains auraient une passion pour l’invention d’un avenir neuf, et leur plus grande sagesse serait d’avoir fondé leur raison d’être sur leur capacité à se représenter le monde, à observer les étoiles, des cavernes jusqu’aux photographies spatiales. Mais Teague Wright est un cynique, et l’imagination serait, elle aussi, menacée : les tirages ont été générés par intelligence artificielle, grignotant même notre capacité à nous figurer le ciel. •
Exposition “Dispatches”
Jusqu’au 17 février 2024 at Sans titre
13, rue Michel Le Comte – 75003 Paris
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