Avec deux mois d’avance sur le lancement du Voyage à Nantes, dans lequel sa programmation s’inscrit, la HAB Galerie vient d’inaugurer sa nouvelle exposition, consacrée au travail de Caroline Mesquita (née en 1989, Brest). Pour l’occasion, la sculptrice française dévoile un projet in situ, mettant en scène la transformation de la matière.
Des gouttes d’un métal doré perlent aux robinets d’une étrange fontaine noire. Non loin de là, deux personnages, un homme et un oiseau. Ainsi commence l’histoire. Au sol, des ronds du même métal doré, pareils à des éclaboussures laissées derrière lui par un porteur invisible, indiquent la route à suivre et nous conduisent jusqu’à la grande structure en bois qui occupe la moitié de l’espace de la galerie, sorte d’usine avec ses cheminées dressées vers le ciel. En son sein, trois espaces, que l’on découvre progressivement.
D’abord, une grande citerne aux parois recouvertes de plaques d’un laiton étincelant. Il semble que nous sommes entrés dans le ventre d’une sculpture géante, ou bien que nous baignons dans la matière elle-même. Puis l’on ressort pour pénétrer dans une grande salle, un atelier, au centre duquel trône une longue table d’assemblage. Dessus, des personnages, des oiseaux et des chats, semblables à ceux que l’on a aperçus en arrivant, mais plus petits, comme s’il s’agissait de prototypes ; des copeaux gisent sur le plateau ; aux murs, quelques tableaux représentant ici une main, là une radio, ailleurs un seau plein du précieux métal fondu. L’univers de Caroline Mesquita a cette qualité enfantine des formes simples et des techniques rudimentaires. Pour réaliser ses sculptures, elle ne taille aucun bloc de pierre, ni ne fond aucune masse de bronze. Elle plie des feuilles de laiton comme on plierait des lés de papier colorés, puis elle les soude, comme on les agraferait. De la même manière, ses tableaux, réalisés en marqueterie de métal, ressemblent à des puzzles, des patchworks, des carreaux décoratifs. Rien d’imposant dans sa pratique, mais toujours cette impression de facilité, une simplicité à la fois touchante et réjouissante.
Au fond de l’atelier d’assemblage, une salle ronde, ou plutôt polygonale, immaculée de lumière blanche. Sur chaque facette est accroché un monolithe monochrome, huit grandes stèles au total, toutes du même format vertical. Bleu de lapis lazuli, noir opaque, turquoise : chacune d’entre elle offre un échantillon d’oxydation. C’est dans ce nuancier aux allures de chapelle que l’artiste choisit ses couleurs. Car en effet, aucune des œuvres présentes dans l’exposition n’a été peinte ou émaillée. Leur polychromie n’est due qu’à la corrosion, que Caroline Mesquita maîtrise à la perfection et dont elle tire une variété extraordinaire de teintes et d’effets. Entre ses mains, le métal verdit ou rougit, il bronze ou se couvre de rides, comme une peau réagit aux effets du soleil, des émotions, du temps qui passe. C’est une matière vivante, dont l’une des patines donne d’ailleurs son titre à l’exposition : “CuCO”, formule chimique du vert-de-gris.
Au sortir de cette bien curieuse fabrique, voici la foule des personnages, des hommes et des femmes sans visages, des échassiers, des longs chats assis sur leurs pattes arrière, toute une cohorte de sculptures sympathiques, présentées à même le sol, certaines à taille humaine, et dont les profils nous rappellent les figures tubulaires d’un Fernand Léger ou les automates des théâtres de poche. Un peu plus loin, une seconde structure architecturale est percée çà et là d’œilletons en forme de gouttes dorées par lesquels on peut voir, pour peu que l’on s’y penche, des vidéos en stop motion dans lesquelles l’artiste joue, interagit avec ses créations. À l’abri des regards, il se passe quelque chose, qui confère aux sculptures un autre niveau d’existence, encore une autre forme de vie.
À n’en pas douter, il y a chez Caroline Mesquita une drôlerie, un vrai style, un caractère farceur et poétique. L’installation qu’elle imagine ici, et qui lui a demandé deux années de travail, parvient à habiter pleinement l’immense espace de la HAB Galerie. Surtout, elle parvient à ménager une place à chaque visiteur, jeunes ou moins jeunes, en convoquant un imaginaire à la portée de tous. Entre le laboratoire d’alchimiste, l’usine du père Noël et une exploitation de Shadoks, “CuCO & CO” se veut bien plus qu’une simple exposition de sculptures. C’est un parcours, une mise en scène totale, un spectacle certes immobile mais qui pourtant raconte la transformation de la matière en d’infinies métamorphoses. C’est aussi le récit du geste créateur et des ressources inépuisables de l’imagination, qui sait faire tout un monde d’un simple morceau de laiton. •
Exposition “CuCO & CO” by Caroline Mesquita
Jusqu’au 29 septembre 2024 at HAB Galerie
21, quai des Antilles – 44200 Nantes
levoyageanantes.fr