Chez Marian Goodman, l’ordinaire fantasmé de Joanna Piotrowska

Théâtre de corps et d’objets, l’exposition de Joanna Piotrowska à la galerie Marian Goodman, à Paris, déploie un élan onirique dans lequel l’œil s’immerge instantanément. Un espace liminal, flirtant avec le surréalisme, où l’œuvre de l’artiste polonaise éclot avec subtilité.

Quelques mois après une première exposition personnelle remarquée accueillie par LE BAL, Joanna Piotrowska (née en 1985, Varsovie) ramène ses images au premier plan de la scène parisienne. La galerie Marian Goodman lui consacre en cette rentrée une monographie, prenant la forme d’une installation inédite ponctuée de photographies argentiques en noir et blanc, de collages et de photogrammes. Trait d’union entre les deux expositions : ce vieux rose qui teintait en camaïeu le sol et les murs du premier espace, réemployé ici à travers le dressage d’un rideau et d’une moquette veloutés. Huis clos intime ou aire théâtrale, dès l’entrée, la scénographie réveille une familiarité certaine avec le regardeur.

Davantage marqueur domestique qu’objet appelant à être activé, ce grand rideau frontal s’emploie à renforcer la dimension ordinaire qui persiste dans l’œuvre de Piotrowska. Le familier, le commun, voire l’anodin, occupe une place première au sein de sa pratique : vide-poche en cristal, plateaux de fruits, tapis, statuettes de bronze ; l’artiste polonaise prélève ces objets dans des appartements inoccupés, repérés en ligne, puis les fixe dans ses images. Pourtant, la mise en exergue de ce jeu de figures est un acte trompeur. Car en y regardant de plus près, il ne s’agit pas de photographie documentaire, d’image témoin d’une réalité à connaître. Encore moins d’un inventaire matérialiste. Les motifs servent à une mise en scène construite par l’artiste, une mise en situation artificielle qui s’imprègne de nostalgie personnelle et collective, comme l’évoque Untitled (2024), double portrait féminin qui se fond dans un panneau de bois typique du mobilier des années 1980 en Pologne. C’est un temps qui s’effondre, un espace qui fuit, dans l’absence chromatique et la matière.

Ainsi Joanna Piotrowska met-elle en exergue, dans cette exposition, le lien mémoriel entre sujets et objets. Pour elle, ces derniers agissent comme des catalyseurs, et à l’instar des corps qu’elle manipule et positionne, partagent une histoire commune. L’appartenance comme le souvenir sont des associations psychologiques indéfectibles ; la captation de l’action et du geste, elle, permet de conjuguer visuellement les deux. C’est ce que montre Piotrowska dans la plupart de ses œuvres, en nourrissant son objectif de mouvements, de chorégraphies. « Je me concentre toujours sur la mise en scène et les gestes, le travail avec le corps, l’organisation de certaines situations entre les personnes, ou entre les personnes et leur environnement. Il s’agit d’une activité performative, c’est pourquoi je dis souvent que mes photographies sont des documentations de petites performances », indiquait-elle, il y a quelques années. En s’appuyant sur une dimension passéiste palpable par le choix du médium photographique et l’atmosphère énigmatique qui embaume ses tirages, Joanna Piotrowska mène une quête de motifs pour les orchestrer dans un cadre onirique, fantasmé, si ce n’est surréaliste, comme le prouvent ses collages aux figures multiples.


Exposition “Joanne Piotrowska”
Jusqu’au 5 octobre 2024 at Galerie Marian Goodman
66, rue du Temple – 75003 Paris
mariangoodman.com


Vue de l’exposition de Joanna Piotrowska, Galerie Marian Goodman, Paris, 2024. Courtesy de l’artiste et de Marian Goodman Gallery. Photo : Rebecca Fanuele.

Joanna Piotrowska, Untitled, 2024,  set de 2 épreuves gélatino-argentiques réalisées à la main, rideau de velours rose, 22 x 29 x 1,2 cm (chacune). Courtesy de l’artiste et de Marian Goodman Gallery. Photo : Rebecca Fanuele. © Joanna Piotrowska

Joanna Piotrowska, Untitled, 2024, épreuve gélatino-argentique réalisée à la main, placage de bois, 157,4 x 128,5 x 2,5 cm. Courtesy de l’artiste et de Marian Goodman Gallery. Photo : Rebecca Fanuele. © Joanna Piotrowska

Joanna Piotrowska, Untitled, 2024, épreuve gélatino-argentique réalisée à la main, 91,7 x 71,7 x 2,5 cm. Courtesy de l’artiste et de Marian Goodman Gallery. Photo : Rebecca Fanuele. © Joanna Piotrowska

Vue de l’exposition de Joanna Piotrowska, Galerie Marian Goodman, Paris, 2024. Courtesy de l’artiste et de Marian Goodman Gallery. Photo : Rebecca Fanuele.

Joanna Piotrowska, Untitled, 2024, épreuve gélatino-argentique réalisée à la main, 41 x 60 cm. Courtesy de l’artiste et de Marian Goodman Gallery. Photo : Rebecca Fanuele. © Joanna Piotrowska

Joanna Piotrowska, Untitled, 2024, collage d’épreuves gélatino-argentiques réalisées à la main, 60 x 50 cm. Courtesy de l’artiste et de Marian Goodman Gallery. Photo : Rebecca Fanuele. © Joanna Piotrowska

Vue de l’exposition de Joanna Piotrowska, Galerie Marian Goodman, Paris, 2024. Courtesy de l’artiste et de Marian Goodman Gallery. Photo : Rebecca Fanuele.

Chez Marian Goodman, l’ordinaire fantasmé de Joanna Piotrowska