Artiste touche-à-tout, maniant la sculpture, la peinture, mais aussi la performance et l’installation, Jessy Razafimandimby (né en 1995, Madagascar) présente sa deuxième exposition personnelle à la galerie Sans titre, à Paris. Il y dévoile un corpus d’œuvres peintes, particulièrement intimistes, constitué notamment autour du thème de la maternité et de la parentalité.
Jessy Razafimandimby fait partie de ces artistes qui cultivent un sens aigu de la retenue et de la parcimonie, auquel s’ajoute une profonde compréhension des formes, de leur accord, de leurs rapports et des effets qu’elles ont sur nous et sur notre imagination. Ainsi l’on ignore tout de cette figure de dos, énorme et rose, accroupie fermement sur un fond jaune, solaire (Loose love, 2024). Non, on ne sait rien, et pourtant l’on devine, derrière ces hanches bombées, derrière le bras arqué en forme de berceau, dans le repli timide sur un sein qu’on veut lourd et qu’on imagine tel, quelque chose d’un mystère et d’un pouvoir immense. Ailleurs, un couple à la Chagall s’étreint sous un oiseau (Small walk Double talk, 2024). Et puis, sur des fonds blancs, des silhouettes, des postures, qu’on peine à déchiffrer, protagonistes taiseux d’une histoire qui hésite à se laisser narrer.
Il faut, pour comprendre cette histoire, prendre le temps de se renseigner afin de déceler en creux de toutes ces étranges scènes la nature bien particulière du bouleversement qui présida à leur composition : celui de la maternité, l’annonce de la grossesse de la compagne de l’artiste. D’où ce totem girond à l’entrée de l’exposition, ces regards tendres et ces caresses, ces sortes d’anges en vol vers des ventres ouverts (Daybreakers, 2024), d’où certainement, aussi, ce sentiment ténu d’inquiétude et de doute. Ce mystère et ce pouvoir, dont nous parlions plus haut et qui échappent aux mots, germent dans la nuit et s’étalent sur la toile en des visions bizarres.
On ne s’étonnera pas de trouver du Vuillard dans les sujets réduits à de larges découpes ; un peu de Maurice Denis dans la sinuosité de la ligne et les couleurs de terre ; du Sérusier, pour sûr, dans le jaune éclatant et le tourment des fonds ; et du Bonnard, enfin, dans ce silence opaque des soirs mauves et blanchis. Outre le répertoire de formes et la gamme chromatique, Jessy Razafimandimby partage en effet avec ces peintres nabis un rapport au réel pétri de mysticisme. À sa manière, il poursuit leur quête d’une spiritualité simple, close dans le quotidien et les lumières fébriles de l’âtre domestique. Comme eux, son art oscille entre rêve et réalité. C’est une figuration aux échappées lyriques, abstraites, magiques. D’ailleurs, la scénographie ne manque pas de souligner le caractère intimiste et presque votif des œuvres de Razafimandimby. De longs voiles blancs cloisonnent l’espace, isolant chaque tableau et forçant au détour. Au fond, succédant à cette esthétique enveloppante du « chez-soi » et de la retraite intérieure, la seconde salle de la galerie rejoue la pénombre d’une caverne. On y entre comme dans une chapelle ou un refuge, à peine guidé par la lueur de veilleuses, quatre œuvres-luminaires formées de découpes de tissu peint montées sur métal. Dans cet enclos des songes, les contours s’atténuent jusqu’à l’extrême limite du perceptible. Il nous vient l’envie de chuchoter pour ne pas déranger les ombres.
Si son expérience intime de la parentalité demeure le thème central de l’exposition, Jessy Razafimandimby la replace dans une réflexion plus vaste, et surtout très actuelle, autour des notions d’interdépendance et de cohabitation, avec nos semblables comme avec le vivant de manière générale. Ainsi reparaît par exemple le motif du chien (The rainbow around your neck I envy, 2024), ce fidèle compagnon de l’être humain déjà présent dans certaines de ses œuvres antérieures et qui concentre en lui l’exemple le plus frappant (le plus ancien ?) de la concorde et de la complicité qui peut s’établir entre deux espèces. L’artiste nous rappelle la puissance des liens silencieux et invite à reconsidérer notre manière d’habiter le monde, d’y coexister. Il n’est pas toujours besoin de mots pour acquiescer à l’affection et à la confiance qu’on reçoit, un regard pour un oui parfois suffit. •
Exposition “Those yes in your eyes” by Jessy Razafimandimby
Jusqu’au 21 décembre 2024 at Sans titre
13, rue Michel le Comte – 75003 Paris
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