Dans le cadre de sa programmation contemporaine, le château de Versailles accueille la première rétrospective de Guillaume Bresson (né en 1982) avec une trentaine d’œuvres retraçant près de vingt ans de carrière. Présentée dans les salles d’Afrique, l’exposition propose un dialogue étroit avec les grandes scènes de batailles d’Horace Vernet, et fait ainsi émerger une peinture d’histoire contemporaine.
Jusqu’au 25 mai 2025, le peintre figuratif français Guillaume Bresson présente sa première grande exposition personnelle en institution. Et quelle institution, le château de Versailles, qui renoue là avec la création contemporaine. Plus précisément, ce sont les salles d’Afrique que l’exposition investit, au milieu des immenses décors signés Horace Vernet (1789-1863), célébrant les conquêtes de la France en Afrique du Nord sous le règne de Louis Philippe. Un héritage sensible que Christophe Leribault, président du château de Versailles et commissaire de l’exposition, a préféré laisser visible, précisément pour remettre en question cette exaltation de la conquête à l’aune de nos réflexions actuelles et du regard de Guillaume Bresson. L’artiste le confie lui-même du bout des lèvres : « Il est possible de voir la violence sociale que je dépeins comme une conséquence de la brutalité coloniale que l’on voit célébrée sur les murs de ces salles. » La lignée est terrible, mais elle existe, et c’est ce que laisse entrevoir la scénographie d’Antoine Fontaine, dont les cimaises autoportantes conservent la vue sur les panoramiques militaires de Vernet, tout en renforçant le contraste entre les deux corpus par un traitement imitant le béton brut. Parois de parking sous les dorures, l’œil goûte toute l’ambivalence de la confrontation.
Conquêtes picturales
Mais, plus qu’une simple exposition sur le thème de la violence, de ses répercussions et de ses représentations à travers les siècles, c’est une véritable rétrospective, généreuse et quasi complète, de l’œuvre de Guillaume Bresson, que le visiteur découvre. Soit une trentaine de peintures, au réalisme saisissant, allant de ses premières grisailles très architecturées (parmi lesquelles son œuvre de diplôme aux Beaux-Arts de Paris, datée de 2006), jusqu’à sa récente série de corps en chute, sans perspective ni décor cette fois, que sa galerie Nathalie Obadia avait présentée en 2023. Entre les deux, on suit le parcours qui, de la monochromie l’a conduit à la couleur, et de l’obscurité des souterrains l’a fait sortir et s’aventurer le long des banlieues ensoleillées de Los Angeles. Avec toujours, partout, cette obsession pour les scènes d’affrontement, leur mise en scène théâtrale et ce parrainage des maîtres anciens qui caractérisent tant son style. D’ailleurs, cette familiarité devient une évidence à contempler en même temps sa peinture et celle d’Horace Vernet. Il semble que les deux sortent d’un même atelier. Même style, même touche, quoique plus photographique et plus sombre chez Bresson. Les vraies différences se trouvent ailleurs. D’abord, dans le rapport à l’actualité et au motif. Bresson ne le cache pas, ce qui l’intéresse chez ses pairs, chez Poussin, chez David, lorsqu’il les observe au musée, ce n’est pas le sujet, pas l’événement, mais la composition. Aussi lui-même peint-il la jeunesse, la banlieue, l’abandon, la colère, sans qu’aucune date, récit ou anecdote précis ne soit donné à lire. Il n’y a en outre jamais de camps, et c’est là une autre différence, troublante à bien des égards. Dans les scènes qu’il dépeint, pas de bons ni de méchants, pas de flics ni de voyous : ceux qui se battent sont des semblables, des frères peut-être.
Mise en scènes
Abel contre Caïn, Vernet contre Bresson, Bresson contre l’histoire, l’Histoire contre l’actualité. On finit par se demander si cette peinture-là ne serait pas anachronique. Certainement, mais que dit-on en disant cela ? On peut l’être de bien des manières et pour bien des raisons. Par exemple comme Caravage, lorsqu’il choisit comme modèle pour la mère du Christ le cadavre d’une femme repêché dans le Tibre ; ou bien comme Rembrandt, qui travestit en Bethsabée, sans l’idéaliser, le corps d’une femme bien de son temps ; on peut encore l’être comme Manet, pillant Titien et Raphaël sans jamais se départir de sa quête de modernité, ni de son audace. La tension se joue dans l’articulation entre style et sujet. En cela, Bresson est peut-être plus proche d’un Courbet, dont la modernité se niche plus dans une supercherie de détails (les vêtements, les objets, qui sont ceux d’aujourd’hui) que dans les poses ou la manière d’aborder le sujet (qui eux restent classiques). Surtout, Bresson n’est pas portraitiste, c’est un metteur en scène, dont l’œuvre a tout à voir avec l’art du spectacle et de la chorégraphie, d’une concurrence nouvelle avec le cinéma, de l’arrêt sur image qu’il a rendu possible, et de la photographie qui se répand partout. Au mur, Vernet. Il fallait y croire : le choc des armes, le hennissement des chevaux, la fumée et les cris, le sang qui coule sur le sable qui boit, sur les linges qui rougissent. Chez Bresson, pas de bruit, ni de visages hurlants. Un grand silence de marbre contre un monde trop bruyant. C’est Géricault sans le drame des naufragés de la Méduse. La violence est figée, glaçante, absurde.
Et puis, il est une œuvre plus étrangère au reste du corpus, datée de 2018, sans titre comme toutes les autres. C’est une chambre aux murs blancs, avec seulement un lit défait et une petite table de chevet. Un vieil homme se tient debout, il vient de se lever. Il se penche vers nous, au bord du cadre, pour enfiler son pantalon de jogging. Au plafond, une ampoule, éteinte. Au sol, ni parquet, ni moquette, ni carrelage, rien qu’un aplat de peinture brunâtre. L’espace est distordu comme à travers un œilleton, il semble se resserrer, sur lui, sur nous. L’homme est seul et on le sent. Seul dans cet espace nu, que perce, sans l’éclairer vraiment, une fenêtre au fond, avec vue sur des tours, un pan de mur, le ciel gris. Si elle n’est pas la plus représentative du travail de Guillaume Bresson, cette humble scène d’intérieur, si anecdotique, demeure la plus émouvante. Un rapport différent se joue là, entre le sujet et la manière, entre nous et le sujet. Quelque chose d’une plus grande sensibilité, d’une plus grande empathie, et qui promet encore bien des développements inattendus. •
Exposition « Guillaume Bresson »
Jusqu’au 25 mai 2025 au château de Versailles
Salles d’Afrique
Nocturne le 21 mars 2025
chateauversailles.fr
Album de l’exposition disponible sur la boutique en ligne