Portraits queer, montres oubliées et virée à Rome : 5 expositions à voir en galeries en février

Quelques figures déjà bien établies et de jeunes artistes prometteurs, des propositions collectives et des solo shows radicaux : les galeries parisiennes ne manquent pas de belles propositions en ce mois de février. Tour d’horizon de celles qui nous ont le plus marqués.

James Welling chez Marian Goodman

Depuis près de cinquante ans, le photographe américain James Welling (né en 1951) n’a de cesse d’expérimenter les possibilités formelles et les limites techniques du médium photographique. Pour sa nouvelle série « Thought Objects » (2023-2024), réalisée en grande partie à Rome lors de sa résidence à l’American Academy, l’artiste utilise une variante numérique de la solarisation, procédé qu’il avait déjà utilisé avec l’analogique dans les années 1970, et qui consiste à combiner des images positives et négatives afin de modifier la texture et les couleurs de l’image. Les tirages en impression UV sur aluminium accentuent encore le mordant de la lumière et l’étrangeté des prises de vues. Les amoureux de la Ville éternelle reconnaîtront ici un recoin du musée MAXXI, là la coupole de l’église Sant’Agnese in Agone, ailleurs la porte de l’atelier de Michel-Ange ou encore les sanpietrini de la Piazza Navona, ces célèbres pavés romains agencés en courbes régulières. Autant de détails d’architecture qui voisinent avec de gros plans d’artichauts, de roses ou de fleurs de courgette, et composent un corpus de formes naturelles ou artificielles, mais qui toutes partagent les mêmes règles d’harmonie, les mêmes développements mathématiques. Ainsi, le regard singulier de Welling oscille entre un langage baroque, saturé, falsifié, et un systématisme plus radical, pour livrer des lieux qu’il arpente un portrait plein de poésie. Jusqu’au 8 mars 2025, à la galerie Marian Goodman — 79 & 66, rue du Temple 75003 Paris — mariangoodman.com.

Vue de l’exposition « Thought Objects, Italy and France » de James Welling, Marian Goodman Gallery, Paris, 2025. Photo : Rebecca Fanuele. Courtesy de l’artiste et de Marian Goodman Gallery.

James Welling, Zucchini Flower, Rome, 2024, encre UV sur aluminium Dibond, 71,1 × 106,7 cm, édition de 5. Courtesy de l’artiste et de Marian Goodman Gallery. © James Welling.

« Explicite lyrique » chez Marcelle Alix

On entre, et devant nous, huit micros tendus, parés de lourdes chaînes en or. En poursuivant, on tombe pêle-mêle sur un dessin réalisé par Pierre Creton avec de la cervelle animale, une collection de poils pubiens du même artiste, de jolis dessins au fusain signés Monica Majoli et représentant des femmes nues, affairées à essayer leur premier gode-ceinture. Les petits théâtres bricolés de Sarah Tritz, où la pornographie se mêle à l’humour, semblent faits pour accueillir les assemblages tendres et cruels de Bruno Pellassy. On aime les encres punks et les bouquets de fleurs tristes de Dorothy Iannone, au moins autant que les sculptures molles, phalliques et drolatiques de Zohreh Zavareh. Cela semble partir dans tous les sens, tourner autour du pot, d’un motif, d’une envie. Anne-Lise Coste, c’est la seule, n’y va pas par quatre chemins. Trois lettres au spray sur papier blanc : « SEX ». Pour fêter les 15 ans de la galerie Marcelle Alix, ses deux fondatrices Isabelle Alfonsi et Cécilia Becanovic ont invité la galeriste Florence Bonnefous (Air de Paris). Ensemble, elles ont imaginé ce parcours foutraque et libre, autour des thèmes du plaisir, de la souffrance, de l’amour et de l’amitié. Jusqu’au 1er mars 2025, à la galerie Marcelle Alix — 4, rue Jouye-Rouve 75020 Paris — marcellealix.com.

Vue de l’exposition « Explicite lyrique », Galerie Marcelle Alix, Paris, 2025. Photo : Aurélien Mole. Courtesy des artistes et de la Galerie Marcelle Alix.

Ethan Assouline, réalité (détail), 2025, bois, vis, papier, plastique, peinture acrylique, aluminium, carton, 150,5 × 7,5 × 8 cm. Photo : Aurélien Mole. Courtesy des artistes et de la Galerie Marcelle Alix.

Zohreh Zavareh, Qui aurait cru qu’il serait aussi simple d’entrer au paradis? (Siâzak), 2024, terre cuite, 24 × 8 × 3 cm. Photo : Aurélien Mole. Courtesy des artistes et de la Galerie Marcelle Alix.

« The Guiding Thread » chez Suzanne Tarasieve

Là encore, le principe de l’invitation préside à tout le projet. Pour sa nouvelle exposition, la galerie Suzanne Tarasiève a en effet proposé à ses artistes d’en convoquer d’autres, qui les touchent ou les inspirent. Il en ressort un réseau d’affinités électives, hétéroclite certes, inégal dans ses mises en relation, mais qui ne manque pas de nous réserver de belles surprises. Ainsi, dès l’entrée, une femme nue du sculpteur Aristide Maillol côtoie l’un des aliens du jeune peintre Théo Viardin. Rien ne semblait a priori les rapprocher, pourtant, force est de constater que les deux créatures semblent de la même espèce, qu’un air de famille les rapproche. Des liens se tissent sans qu’on ne sache pas toujours comment. C’est parfois le motif, d’autre fois le sujet, le médium ou la touche. Un magma de visages peints par Cornel Brudascu laisse par exemple glisser l’œil vers le portrait de jeune homme au style très photographique peint par Anne Imhof, et qui, à sa manière, décompose le même genre de trouble dans l’image. En face, une peinture hyperréaliste de Craig Wylie, un portrait de jeune homme là encore, poursuit la filiation vers une ambiance plus nocturne et plus romantique. Un peu plus loin, on s’étonne de ce que le totem photographique d’Estelle Hanania et les petits paysages quasi abstraits de Denis Laget ont en commun d’énergie rupestre et archaïque. Le jeu est réjouissant, les échos proposés plus ou moins pertinents, mais l’ensemble reste stimulant et particulièrement généreux. À l’image de Suzanne, la fondatrice de la galerie, disparue en 2022 et à qui l’exposition rend hommage. Jusqu’au 8 mars 2025, à la Galerie Suzanne Tarasieve — 7, rue Pastourelle 75003 Paris — suzanne-tarasieve.com.

Vue de l’exposition « The Guiding Thread », Galerie Suzanne Tarasieve, Paris, 2025. Photo : Rebecca Fanuele. Courtesy des artistes et de la Galerie Suzanne Tarasieve.

Francisco Da Mata, Physical Landscapes, 2024, corde teintée et œillets en plastique, hauteur 100 cm. Courtesy de l’artiste et de la Galerie Suzanne Tarasieve.

Alfredo Aceto chez Parliament

Pour cette deuxième exposition personnelle à la galerie Parliament, Alfredo Aceto dévoile un aspect inédit de son travail : une série exclusivement photographique. Loin d’une quête de perfection, ces images manipulées de façon minimale par l’artiste (sur Photoshop notamment) célèbrent l’approximation et les bugs du numérique, évoquant une esthétique post-Pictures Generation. Travaillant à partir d’archives trouvées à Genève, issues d’un créateur de montres aujourd’hui inconnu, l’artiste compose une histoire parallèle, faite d’échecs et de paradoxes. Bracelets dorés sur fonds orange, cadrans rétros, lettrage vintage, il se dégage de l’ensemble une indicible mélancolie, une désuétude, une beauté de vieille icône au mutisme désolé. En s’approchant, on distingue les défauts, les poussières et les traces laissées par la manipulation au scanner, autant de rides et d’accidents qui trahissent la matérialité de l’image. Entre détournement des codes du luxe et de la publicité, et exploration des failles technologiques, le travail d’Alfredo Aceto semble jouer avec les illusions de la modernité pour mieux en dévoiler l’obsolescence : voilà ce qu’on désirait et qu’on a oublié. Jusqu’au 1er mars 2025, à la galerie Parliament — 36, rue d’Enghien 75010 Paris — parliamentgallery.com.

Vue de l’exposition « Swans Take Off Like The Concorde » d’Alfredo Aceto, Parliament, Paris, 2025. Photo : Romain Darnaud. Courtesy de l’artiste et de Parliament.

Alfredo Aceto, Far Side Virtual, 2024, impression jet d’encre sur papier baryté, 62 × 78 cm. Photo : Romain Darnaud. Courtesy de l’artiste et de Parliament.

Alfredo Aceto, Fix my phone, 2024, impression jet d’encre sur papier baryté, 107 × 82 cm. Photo : Romain Darnaud. Courtesy de l’artiste et de Parliament.

Alireza Shojaian chez Bendana-Pinel

Voici un jeune artiste, et une première exposition avec la galerie Bendana-Pinel. Alireza Shojaian est iranien. Exilé politique en raison de son orientation sexuelle, il a fui au Liban en 2017 avant d’obtenir l’asile politique en France. Il faut dire que son œuvre ne dissimule rien de son attachement aux luttes et à l’imagerie queer. Corps masculins offerts et dénudés, crayonnés dans des poses de vénus alanguies, souvent mélancoliques, quelquefois s’embrassant, ses sujets célèbrent avant tout la diversité des masculinités, leur richesse autant que leur vulnérabilité. Pour cette exposition, « Le démon blanc et l’arbre en feu », l’artiste délaisse quelque peu le réalisme et les références à l’histoire de l’art européen, dont il a pu être coutumier. Il préfère en effet puiser dans l’Antiquité et la littérature orientale, afin de faire se rencontrer la forme académique du nu masculin avec l’imagerie fantasque et guerrière de la miniature persane. Une manière pour lui d’enrichir ses portraits de récits nouveaux, et de nous rapporter, peut-être, un peu du lointain féérique qu’il a dû laisser derrière lui. Du 8 février au 5 avril 2025, à la galerie Bendana-Pinel — 4, rue du Perche 75003 Paris — bendana-pinel.com.

Alireza Shojaian, Le démon blanc et l’arbre en feu (Valentin II), 2024, acrylique et crayon de couleur sur bois, 80 × 60 cm. Courtesy de l’artiste et de Bendana | Pinel Art Contemporain.

Alireza Shojaian, Le démon blanc et l’arbre en feu (Ivan II), 2024, acrylique et crayon de couleur sur bois, 80 × 60 cm. Courtesy de l’artiste et de Bendana | Pinel Art Contemporain.

Portraits queer, montres oubliées et virée à Rome : 5 expositions à voir en galeries en février