De Nick Doyle à Oli Epp, Perrotin expose la permanence matérielle

À Paris, Perrotin ouvre deux nouvelles expositions qui interrogent l’objet : bureautique, dans un solo show érotico-dramatique de Nick Doyle, et contraint à l’effacement numérique, dans une présentation collective curatée par l’artiste Oli Epp. 

« Business, Pleasure, Pressure, Release » : le slogan qui titre la deuxième exposition personnelle de Nick Doyle à Paris se visualise aisément dès les premières œuvres repérées sur les murs. L’artiste, explorateur invétéré de ce bleu denim devenu sa signature et, par extension, de la culture commerciale américaine, poursuit ici sa traduction cartoonesque du matérialisme en extrayant de la vie de bureau une famille d’objets. Mais ici, malgré le calme apparent de la monochromie ambiante, le répertoire s’emploie à détourner deux mondes. D’abord, celui de l’homme au travail, maître de sa propre success story, fantasme occidental qui appartient à ces allégories de l’American way of life apparues au 20e siècle. Puis, celui de la machine, à la fois outil, attribut de l’icône masculine bureaucratique, et ennemi : au milieu des armoires de classement et des trombones, l’anomalie rode. Une machine à écrire coince une cravate, un destructeur de papier piège une chemise, une punaise flotte dans une tasse de café. Heureusement, une échappatoire s’offre au visiteur, lui permettant de quitter ce monde en 2D pour retrouver ses repères tangibles : direction le service des ressources humaines, installation-bar de métal vêtue. Si la structure rappelle celle de l’open space, le travail cède ici sa place au jeu, certes ambigu avec ces paires de menottes qui attendent d’attacher le client au comptoir. Ambiance mi-sadomaso mi-chirurgicale, où Nick Doyle propose une bibliothèque de dossiers fétichistes, une roue de loterie ou encore ses propres sous-vêtements, sales, que le visiteur peut acquérir pour une vingtaine d’euros chacun.

Dans le second espace de la galerie, le refrain perd en accents kinky mais s’intéresse tout autant aux engrenages matériels. Dans « Clear History » (« Effacer l’historique »), Oli Epp invite une vingtaine d’artistes à converser autour des échos entre mondes réels et artificiels. Ainsi, par une dualité qui oscille entre affirmation et effacement, abstraction et figuration, modèle et fac-similé, l’exposition dresse-t-elle un panorama de repères qui s’enchevêtrent dans une cartographie faite de portraits et d’objets. Parmi les pièces exposées, et rappelant la même énergie représentative déployée par Nick Doyle, on remarque les trompe-l’œil équilibristes du Britannique Marius Steiger, les toasts surhaussés de l’Allemand Frank Brechter ou encore une fleur à l’esthétique métallique de la Française Salomé Chatriot. « Les œuvres présentées affirment leur matérialité avec entêtement, coulent, brillent, s’étirent et se transforment. Comme l’histoire elle-même, elles refusent les promesses faciles formulées par notre lexique numérique. Dans chaque cloud, portail ou fenêtre réside un monde physique profondément dépendant de nos sens. Tandis que nous nous résignons à l’hallucination, nous nous apercevons que nous nous adaptons à cette simulation, et même que nous l’apprécions. Ces œuvres nous rappellent pourtant qu’il n’existe aucune véritable séparation entre l’existence matérielle et virtuelle, seulement un cycle infini entre effacer et laisser des traces, où le toucher et la vue, la présence et l’absence deviennent impossibles à distinguer l’un ou l’une de l’autre. », indique Anitra Lourie, chercheuse à La Sorbonne, qui admet cet état paradoxal façonnant nos objets et leur image. Miroirs du monde contemporain, ces deux expositions explorent, par des séquences marquées d’une iconographie familière, l’idée que l’être humain est voué à cohabiter avec une permanence matérielle ou, au contraire, intangible qui impacte nos représentations.


Expositions « Clear History »
et « Nick Doyle. Business, Pleasure, Pressure, Release »
Jusqu’aux 1er et 8 mars 2025 chez Perrotin
10, impasse Saint-Claude et 76, rue de Turenne – 75003 Paris
perrotin.com


Nick Doyle, How Do We Manage?, 2025, denim décoloré sur panneau, 198,1 × 238,8 cm. Courtesy de l’artiste et de Perrotin.

Nick Doyle, A Little Pick me Up, 2025, denim décoloré sur panneau, 61,4 × 91,4 cm. Courtesy de l’artiste et de Perrotin.

Vue de l’exposition « Business, Pleasure, Pressure, Release » de Nick Doyle, Perrotin, Paris, 2025. Photo : Claire Dorn. Courtesy de l’artiste et de Perrotin.

Nick Doyle, Business, 2025, denim décoloré sur panneau, 137,2 × 76,2 cm. Courtesy de l’artiste et de Perrotin.

Nick Doyle, Human Resources, 2024, cloisons recouvertes de laine, dalles en vinyle, dalles en panneaux de fibres, acier, contreplaqué, aluminium, sapin, mousse, peinture, lumières LED, impressions à jet d’encre d’archives, menu, refroidisseurs d’eau, écran LCD, système de sonorisation, menottes, sous-vêtements usagés, tissu résistant aux intempéries, quincaillerie, 275 × 575 × 245 cm. Vue de l’exposition « Business, Pleasure, Pressure, Release » de Nick Doyle, Perrotin, Paris, 2025. Photo : Claire Dorn. Courtesy de l’artiste et de Perrotin.

Vue de l’exposition « Clear History », Perrotin, Paris, 2025. Photo : Claire Dorn. Courtesy des artistes et de Perrotin.

Marius Steiger, Ball Pile (Optimism), 2025, huile et acrylique sur lin, 240 × 120 × 4,5 cm. Photo : Damian Griffiths. Courtesy de l’artiste et de Perrotin.

Frank Brechter, Toast – Stufe 1-5, 2024, polystyrène, plâtre polymère, peinture acrylique, 100 × 100 × 10 cm. Courtesy de l’artiste et de Perrotin.

Ally Rosenberg, Morning Person, 2024, jesmonite, peinture de carrosserie, bois de sapelli, 142 × 100 × 20 cm. Courtesy de l’artiste et de Perrotin.

De Nick Doyle à Oli Epp, Perrotin expose la permanence matérielle